Louis-Ferdinand Céline est probablement un des romanciers français les plus novateurs du XXème siècle, son oeuvre romanesque est remarquable, notamment son premier roman Voyage au bout de la nuit, couronné par le prix Renaudot en 1932. Le héros, Ferdinand Bardamu, un Français que l'on peut qualifier de "globe-trotter invétéré", a déjà dû affronter l'horreur de la guerre de 1914 et la réalité de l'exploitation coloniale en Afrique de l'ouest.
Céline nous conte ici le parcours de Bardamu à Detroit, dans les États-Unis des années 1920, qui se trouve employé en tant que main-d'oeuvre dans une usine Ford où il découvre le fordisme, nouveau concept de travail au XXème siècle. L'auteur fait découvrir au lecteur, par ce récit, un nouveau modèle de production de biens, dont il montre que les effets ne se limitent pas à créer une augmentation de la productivité (...)
[...] Tout d'abord, dénonce implicitement l'auteur, l'Homme est dans l'usine déshumanisé par sa fonction. On peut en effet remarquer que celui-ci est traité en animal de manière récurrente et volontaire. Les mots chimpanzés bêtes sans confiance cages à mouches sont employés pour signifier plus fortement que l'homme en acceptant cette offre d'emploi perd ce qui fait de lui un homme: sa capacité à penser. Dès lors, il n'est plus qu'un animal et Céline retranscrit très bien cela à travers le vocabulaire qu'il utilise. [...]
[...] Céline en dévoile ici les principes théoriques et le fonctionnement pratique. Tout d'abord, il est question de la parcellisation des tâches et la standardisation nous fûmes répartis ( ) par groupes hésitants les ouvriers spécialisés sont affectés par petits groupes à des tâches spécialisées, et il leur faut répéter des gestes à un rythme soutenu afin d'assurer le plus de rendement possible la très simple manœuvre que je devais accomplir pour toujours. Mes minutes, mes heures, mon reste du temps comme ceux d'ici s'en iraient à passer des petites chevilles à l'aveugle d'à côté qui les calibrait, lui, depuis des années les chevilles, les mêmes A travers cette phrase, Céline cherche à montrer le caractère répétitif du travail et surtout interminable: il dure des minutes, des heures, le reste de toute sa vie. [...]
[...] Vous n'êtes pas venu ici pour penser, mais pour faire les gestes qu'on vous commandera d'exécuter Nous n'avons pas besoin d'imaginatifs dans notre usine. La pratique, qui voit les ouvriers connaître de nouvelles conditions de travail, est donc elle aussi totalement innovante. Tout d'abord, le recrutement. Celui-ci est, à la grande surprise de Ferdinand Bardamu, ouvert à tous. En d'autres termes, les qualités physiques l'instruction et la maîtrise technique ne sont dans les usines Ford, que très peu prises en compte : on prenait n'importe qui chez Ford ( ) ça n'a pas d'importance comment vous êtes foutus ! [...]
[...] Le champ lexical de la domination est employé à de nombreuses reprises : Qu'on se range C'est pas la honte qui leur fait baisser la tête on cède au bruit comme on cède à la guerre ce qui donne l'impression que l'ouvrier n'est pas soumis par ses chefs, mes par les machines elles-mêmes, comme dans le roman 1984, de George Orwell où les citoyens sont en permanence surveillés par des télécrans Le lecteur a le sentiment que l'ouvrier n'est que le rouage d'une machine, une infime partie d'un système beaucoup plus immense que lui, et qu'il est voué à lui appartenir totalement : ça ne peut plus finir. Elle est en catastrophe cette infinie boîte aux aciers et nous on tourne dedans avec les machines et avec la terre. Tous ensemble ! [...]
[...] Nous voyons ici qu'il s'agit d'un véritable système, où les maîtres et les machines dominent les hommes, et dans lequel un nouvel Homme est crée, dont toute la vie sera sous l'influence de la Machine. Il en résulte une incapacité à penser et à formuler des raisonnements, doublée d'une docilité qui fait la réussite du système. Louis-Ferdinand Céline voit le titre de son ouvrage Voyage au bout de la nuit parfaitement justifié par cet extrait. L'auteur s'attache dans celui-ci à faire connaître à ses contemporains le système de production fordiste, en en dénonçant les travers. Selon l'écrivain le système fordiste est mauvais pour la santé de l'ouvrier, le déshumanise et le transforme. [...]
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