Jean de La Bruyère a passé de nombreuses années à la cour de louis XIV, au service de l'un des plus grands seigneurs de l'époque, celui qu'on appelait Le Grand Condé, dont il fut le bibliothécaire après avoir été le précepteur de son fils. Or son ouvrage est d'une grande sévérité avec la cour et les grands auxquels il consacre respectivement les chapitres 8 et 9 et dont il dénonce très vivement les défauts : comment a-t-il pu, sans remettre en cause un système à l'intérieur duquel il demeurait et que fondaient l'autorité incontesté du Roi, la hiérarchie des conditions et le "divertissement", au sens pascalien, que représentaient les intrigues de cour, mener cette critique, comment dénoncer sans condamner ? (...)
[...] lui répond, l'apostrophe parfois violemment : fades courtisans »(DC57). Ainsi, il l'implique dans ses remarques, et on peut en conclure que lui, qui dénonce si souvent la sottise qui règne parmi les grands, attend de ses lecteurs qu'ils lisent intelligemment. Il accepte d'entrer dans une espèce de compétition, pourvu qu'elle soit une compétition intellectuelle : il finit sa préface en précisant que contrairement à ceux qui font des maximes, il ne demande pas qu'on approuve entièrement ses observations, pourvu que l'on remarque mieux Il attend donc une espèce d'émulation intellectuelle, une élévation du niveau de conscience et de critique de la société dans laquelle il vit. [...]
[...] (DC sur la fausse ignorance, la naïveté feinte ou même le regard étranger comme lorsque La Bruyère décrit cette région dont les habitants ont une physionomie qui n'est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de cheveux étrangers qu'ils préfèrent aux naturels (DC 74). L'ironie a l'avantage de susciter la complicité du lecteur : ainsi, mettant les rieurs de son côté, La Bruyère peut se livrer à une satire de la société de son temps qui dénonce les comportements des courtisans, leur artificialité, le mensonge permanent et la vanité de leur existence. [...]
[...] La Bruyère leur demandait un effort de transposition, leur demandait de changer de point de vue pour mieux voir (DC 6 : selon la perspective dans laquelle on se place, les choses apparaissent différentes), décalait les choses –songeons au procédé du regard étranger qu'il utilise en DC74, mais aussi au recours aux noms à consonance latine ou grecque-, la lecture de son œuvre aujourd'hui n'a pas d'autre exigence ! et si nous entrons volontairement dans ce jeu intellectuel, nous pouvons découvrir, grâce à son livre, dans notre société, dominée elle aussi, par la compétition pour le pouvoir, nombre des travers humains qu'il dénonçait au XVIIème siècle. [...]
[...] Les lecteurs ont besoin qu'un honnête homme supporte les petits dédains (DC souffr[e] des grands et de ce qui leur appartient (DG33) afin d'observer, avec toute l'attention pour la vérité possible, la comédie humaine dont il restitue ensuite la matière au public qui la lui avait prêtée. Pourtant, La Bruyère attend aussi de la reconnaissance, et disons-le la gloire : qu'on en juge par l'acharnement avec lequel il briguera une place à l'Académie française mais aussi par sa déclaration dans la 5ème édition de la préface : il nous dit-il, lui qui soupirait : qu'il est difficile d'être content de quelqu'un ! de grands sujets d'être content du public. [...]
[...] Ainsi, cette description vivante, pleine de pittoresque que nous offre La Bruyère lui permet de glisser toutes sortes de traits piquants dont le lecteur volontiers moqueur se régale. Et comme dans un salon, ce n'est pas tant le fond du tableau que l'on analyse mais bien la verve, l'esprit brillant de son auteur. Par ailleurs, dans les réflexions, c'est l'ironie qui sert à faire sourire, souvent alliée au paradoxe : c'est elle qui fait que le texte est spirituel plein de verve et d'esprit. [...]
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