Il y a dans Candide une richesse indéfinie qui est la caractéristique des grandes oeuvres. Flaubert voyait là la trace du génie, ce qu'il appelait la griffe du lion, dans la conclusion du conte, qu'il qualifiait de "bête comme la vie" ? Or, la richesse de l'oeuvre vient précisément de l'ambiguïté des leçons qu'elle propose, tant sur la signification de l'existence que sur la solution préconisée. D'une part la fameuse morale du jardin reste susceptible d'interprétations fort diverses, voire diamétralement opposées (...)
[...] Ensuite, la leçon du vieillard turc, symbole de l'expérience de toute une vie, pour révéler à Candide et à ses compagnons les vertus du travail qui fait échec à l'ennui. Entre les convulsions de l'horreur qui dominent la première partie du conte et la léthargie de l'ennui qui envahit la seconde, l'homme n'a qu'un recours : le travail, qui le soustrait à l'horreur et l'arracha à l'ennui. Une fois de plus d'accord avec Pascal sur l'analyse de notre condition, Voltaire s'oppose à lui quant au remède : pour Pascal l'action était un divertissement qui détournait l'homme de la contemplation de sa propre misère, et l'empêchait ainsi de songer à son salut, pour Voltaire au contraire, si l'ennui est inhérent à la condition humaine, le travail est le meilleur des remèdes à nos maux : il aide l'homme purgé par le malheur des illusions de la jeunesse, à améliorer son sort et celui des autres. [...]
[...] En un certain sens on pourrait soutenir que la morale du jardin inspire toute l'activité de Voltaire à Ferney. Le séjour à Ferney, où Voltaire passe les 20 dernières années de sa vie, est marqué par une activité prodigieuse de Voltaire tant sur les plans littéraires et politiques, que sur le plan de la gestion de ses domaines : il faut de la terre de Ferney une sorte d'exploitation modèle, projet conçu dès l'acquisition du domaine (1759) : je n'achète Ferney, écrit-il, que pour y faire un peu de bien La morale du jardin qui marque l'installation définitive de Candide et la fin de ses errances à la fois matérielles et spirituelles, peut apparaître aussi comme le passage d'une morale de la résignation amère, exprimée par la philosophie de Martin et de la retraite oisive, à une morale de l'action bienfaisante et de la solidarité entre tous les hommes de bonne volonté désireux d'améliorer le sort de l'humanité par une contribution modeste mais efficace au bien-être général. [...]
[...] Dans cette perspective, l'idéal du jardin peut être interprété comme une solution pour faire échec au mal : il y a dans cette conception un projet scientifique et un espoir philosophique. D'une part, si elle est cultivée et mise en valeur systématiquement, la terre pourra nourrir tous les hommes, et le jardin de Candide comme la terre de Ferney constituent une sorte d'illustration l'une théorique, l'autre concrète de l'idéal des physiocrates qui faisaient résider la principale richesse d'un pays dans le développement intensif et scientifique de l'agriculture. [...]
[...] La morale du jardin Il faut cultiver notre jardin telle est la conclusion trop fameuse de Candide. Trop fameuse, parce qu'étant donné son caractère de boutade, comme l'oracle prononcé par la Dive Bouteille à la fin du Cinquième livre de Rabelais, elle peut être interprétée dans un esprit très différent suivant les commentateurs : depuis ce que Roland Barthes appelle la morale bornée du petit propriétaire jusqu'à un idéal de sagesse, de courage, un appel au travail fécond et bénéfique. [...]
[...] Au moment où Candide comprend enfin ce qu'est la vraie vie, il s'acagnarde et se tait. On peut penser qu'il n'aura plus de vie intérieure, et que l'abrutissement lui permettra de supporter une vie d'une désolante médiocrité. En ce sens la conclusion de Candide rejoint dans l'ironie grinçante celle de Scarmentado où le héros après avoir parcouru le monde et rencontré partout l'intolérance et la férocité, décide de s'établir : Je résolus, dit-il, de ne plus voir que mes pénates ; je me mariai chez moi ; je fus cocu, et je vis que c'était l'état le plus doux de la vie. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture