L'histoire des genres a confondu tonalité lyrique et genre poétique : aujourd'hui, le lyrisme constitue à lui seul la Poésie. Cet amalgame se justifie non seulement sur un plan historique par l'exclusion de l'épique et du dramatique du champ du vers, mais aussi sur un plan formel, à cause de la place prépondérante d'un "je" intime qui exprime les sentiments personnels de l'auteur. En 1944, dans Approches de la poésie, Roger Caillois critique cette poésie dominée entièrement par le moi de l'auteur (...)
[...] Le poète inspiré qui passe sous silence le travail poétique n'est finalement qu'un hypocrite ou un mauvais poète. Même si Caillois a adhéré pendant un temps au surréalisme, on ne peut s'empêcher de déceler ici une critique de la création surréaliste. En effet, l'écriture automatique attribue un caractère poétique au hasard et à l'immédiateté de la pensée. Les champs magnétiques sont la valorisation du premier jet d'écriture au détriment du sens et de la construction formelle. La création poétique ne peut évacuer un travail du vers, et c'est ce qui distingue les grands poètes des artistes de pacotille. [...]
[...] Roger Caillois semble très radical : il en vient à un rejet total du sentiment en poésie. Cependant, il fait référence à un lyrisme bien particulier qui a prit un sens négatif au XX ème siècle. Ce lyrisme se définit en fonction du contexte de la guerre dans lequel Caillois écrit. Il utilise des lieux communs pour critiquer l'attitude solipsiste de poètes qui se complaisent dans la sensiblerie. Il émerge alors en filigrane une conception personnelle d'une poésie sociale, rhétorique, et narrative, garante d'authenticité. En regard de la guerre, l'épanchement de soi-même est jugé indécent. [...]
[...] Nous avons observé que plus le poète est absent de son poème, plus il est universel, car il parle au nom de tous. Or Roger Caillois néglige la capacité d'universalisation d'un je qui est souvent représentant de toute une communauté. Il réduit le lyrisme à une vision caricaturale qui a été celle de son époque, où le sentiment est synonyme de sensiblerie, d'exagération, de boursouflure Sa vision ne se construit que sur une série d'antithèses primaires entre les rapports d'intériorité et d'extériorité d'une conscience, entre l'inspiration opposée à la raison, le chant à la narration, ce qui révèle l'élision des capacités du sentiment à tendre vers le général. [...]
[...] Ce retour aux origines du langage poétique met en valeur l'indissociabilité du lyrisme et de la poésie. Par conséquent, en étant anti-lyrique, Caillois est peut-être malgré lui anti-poétique lorsqu'il affirme : le lyrisme ne me plait guère Au-delà d'un point de vue sur le rôle du poète et de sa présence dans son art, cette critique est davantage une réflexion sur la nature du langage poétique. Même s'il y a la disparition de l'effusion des sentiments dans un poème ou de la thématique du moi, il y a la persistance d'un lyrisme lié à la musicalité du langage. [...]
[...] On connaissait l'inconscient et le sentiment de l'absurde avant l'heure, chez Baudelaire et Verlaine par exemple. Le lyrisme est une écriture de soi mise au service d'une réflexion sur l'identité. La poésie surréaliste, par le biais d'une aventure du langage, permet de faire l'expérience de l'inconscient. La mise en avant de soi dévoile aussi les différentes métamorphoses d'une identité. Par exemple, la métamorphose du poète en cimetière et en vieux boudoir (deuxième Spleen de Baudelaire) métaphorisent l'état d'esprit du poète. Le langage guidé par le lyrisme est ainsi garant de la modernité poétique. [...]
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