Publié pour la première fois en 1945 dans la revue Cahiers d'art, Le monde et le pantalon est un court essai portant sur la peinture des frères Van Velde. Sa virulence envers un certain académisme pictural y est relativisée par l'engouement du dramaturge pour une peinture se détachant des concepts du "déjà-vu" ou "déjà-existant".
Le monde et le pantalon apparaît alors comme un rejet du moralisme artistique mis en place par les critiques et les censeurs. Le titre lui-même, qui s'inscrit dans la lignée de l'absurde des intitulés des oeuvres beckettiennes, met en place une sorte de dichotomie, de bipolarité même entre ce que l'on peut qualifier de sacré et de profane (...)
[...] Comment l'essai de Beckett sur l'œuvre des deux peintres hollandais nous permet-il d'affirmer l'appartenance de son esthétique à la modernité ? Nous étudierons dans un premier lieu le refus de Beckett par rapport à la vision classique et dogmatique qui habite les esprits contemporains et leurs prédécesseurs, puis nous mettrons en évidence ce que l'auteur admire chez les frères Van Velde pour enfin faire émerger un parallèle entre le point de vue esthétique qu'il établit tout au long du livre Le Monde et le pantalon, et l'application de ce point de vue à ses propres œuvres littéraires. [...]
[...] Dans le noir qui est aube et midi et soir et nuit d'un ciel vide, d'une terre fixe. Dans le noir qui éclaire l'esprit En effet, l'objet qui oscille entre visible et invisible, entre voilement et dévoilement est au cœur de l'esthétique de Beckett, en peinture comme dans son écriture. Selon lui, le noir en peinture et le silence en littérature font rejaillir plus intense l'idée. Ignorance, silence et azur immobile, voilà la solution de la devinette, la toute dernière solution On n'a donc pas besoin de tout connaître d'un domaine pour en ressentir les forces et les impressions, et, puisque Rien n'est plus réel que le rien Beckett va donc dépouiller la littérature de ses éléments principaux pour qu'elle devienne elle aussi un empêchement Il va tenter d'écrire sur rien, des personnages miséreux évoluant dans un univers insignifiant, confus et voué au néant. [...]
[...] La chose immobile dans le vide, voilà enfin la chose visible, l'objet pur. Je n'en vois pas d'autre. Ainsi, la visée principale que Beckett attribue à la peinture n'est donc pas de servir de manière directe et frontale au spectateur une vision qui pourrait se noyer dans le banal et le commun mais bel et bien de l'empêcher de saisir le sens réel de ce qu'il voit, de l'attirer davantage, à la manière d'une araignée, dans sa toile. Il n'y a donc pas négation à proprement parler de l'objet en question (il s'agirait alors d'art abstrait), mais d'un objet tellement déformé, amplifié, voire dissimulé qu'il en devient le point culminant de la jouissance lors de l'observation d'une œuvre picturale. [...]
[...] Synonyme de changement, d'évolution, et donc, par voie de conséquence, de modernité, l'attrait qu'exerce le mouvement sur Beckett ce ressent jusque dans sa prose elle-même. La peinture de Gerardus van Velde est excessivement réticente, agit par des irradiations que l'on sent défensives, est douée de ce que les astronomes appellent (sauf erreur) une grande vitesse d'échappement. Tandis que celle d'Abraham van veld semble figée dans un vide lunaire. Les diverses anaphores les énumérations ou encore l'hybridation du texte (Beckett mélange des théories sur l'art et les exemples concrets tels des dialogues, des citations de peintures ou encore des échanges inventés de toute pièce et que l'on pourrait rapprocher de la prosopopée) sont autant d'éléments catalyseurs et démonstratifs du concept du mouvement. [...]
[...] C'est ça la littérature Premier paragraphe nous rappelle l'impossibilité d'intellectualisé la peinture, de raisonner à son propos, le deuxième paragraphe fait largement écho à l'idée de mouvement développé plus haut, mais la conclusion c'est ça la littérature interroge le lecteur. En fait, on observe que ce que Beckett voit dans cette peinture toute entière tendue entre le mouvement et l'immobilité, entre un et multiple c'est tout simplement une leçon d'écriture. L'illusion du réalisme La critique du réalisme en peinture s'applique aussi pour la littérature. [...]
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