À partir du XIXe siècle, le vers mesuré et la rime ne constituent plus des critères essentiels de l'écriture poétique. Nombre de poètes se libèrent des contraintes formelles de la poésie traditionnelle et composent des poèmes en prose, la poésie s'intéressant aux hommes (poésie lyrique) mais aussi, surtout à cette époque, aux objets. Baudelaire consacre un de ses Petits poèmes en prose à une chose autant inattendue que banale : les fenêtres. Il convient de noter que l'objet lui-même était fort apprécié des peintres (...)
[...] T E X T E Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que 5 ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie. [...]
[...] On relève ici un Baudelaire provocateur quand il évoque un trou (terminologie péjorative), mais elle en demeure plus riche que tout (puisqu'elle serait plus intéressante qu'une fenêtre ouverte), même si elle ouvre sur la misère. Le poète va alors s'impliquer en passant au je (ligne et relater une anecdote. On peut se demander si elle n'est pas autobiographique dans la mesure où Baudelaire, par manque d'argent, était souvent réduit à des logements sous les toits. Il décrit ce qui se passe devant ses yeux à l'aide d'une métaphore évocatrice : des vagues de toits (ligne vision panoramique qui n'est pas sans rappeler la mer. [...]
[...] La poésie est ainsi celle du quotidien et du réel dans laquelle l'observation est source de création. Le lecteur se trouve face à un éloge du quotidien dans lequel l'énumération de superlatifs (lignes 2 et aboutit à une hyperbole poétisée par la chandelle (ligne plus suggestive que l'éclairage au gaz. Dépassant la réalité superficielle, cette poésie est l'expression d'une sensibilité tournée vers les autres, les pauvres. C'est une poésie de la souffrance. Mais elle est aussi romanesque : à partir du réel, le poète invente, tel un romancier. [...]
[...] Enfin, le poème retourne à la vie quotidienne du poète avec un présent d'habitude : je me couche (ligne 13). Ce tableau voulu par Baudelaire va présenter un deuxième élément servant d'encadrement : une réflexion sous la forme d'un dialogue imaginaire (Peut-être, ligne qui implique directement le lecteur (me direz-vous, ligne 14). La question, dont on notera la teneur amicale suggérée par le tutoiement (Es-tu sûr , ligne permet au poète d'affirmer son lien avec la réalité et le rapport entre la création poétique et sa propre existence. [...]
[...] Pour le poète, pénétrer ainsi dans un intérieur, voir à travers une vitre, vivre la vie de ses semblables, s'identifier à eux, c'est sortir de son moi et accomplir son métier de poète. Il pourra alors mieux se connaître et lutter contre le spleen, notion qu'une position conclusive met en valeur (sentir que je suis et ce que je suis). À cette fin, le poème en prose se révèle convaincant. La progression est proche de celle du sonnet, dont on a ici la fragmentation : comme deux quatrains et presque deux tercets avec chute de la dernière interrogation. [...]
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