Je vois se dérouler des rivages heureux : l'espace clos intérieur, circonscrit donne lieu à un espace infini. Le poème perd son caractère anecdotique pour se transformer en un tableau visionnaire : un paysage exotique se substitue à la figure féminine. Médiatrice du rêve, la femme s'efface et ne réapparaîtra qu'au premier vers du premier tercet "guidé par ton odeur" (...)
[...] La mention de l'île n'est pas exempte d'une dimension mythique. La nature, la terre-mère nourricière pourvoit à tous les besoins des hommes, ce qui fait référence à l'âge d'or décrit par les poètes latins (Ovide, Virgile . L'allusion à la saveur des fruits est elle-même une conception païenne (paganisme) du paradis originel car dans l'Eden biblique, le fruit est amer. Or ici, le fruit n'est pas défendu comme dans la tradition chrétienne. La singularité des arbres, loin de porter une connotation négativen nous montre qu'il s'agit bien d'un lieu "exo"tique, qui ne ressemble pas à la réalité ordinaire, qui en est même l'envers, la négation. [...]
[...] De la même façon, les yeux clos circonscrivent un univers intérieur qui va se déployer, "respire" est bien le signe d'une expansion de vie. Le parfum de la femme est le point de départ de l'imagination. Tout est fait pour suggérer une interaction entre le dedans et le dehors. Le motif du sein présente une connotation érotique mais symbolise aussi le caractère maternel de la femme aimée. Il est un abri, un refuge : l'intimité amoureuse équivaut à une sorte de régression infantile. [...]
[...] L'attraction exercée par le paysage exotique est confirmée par l'adjectif "charmants" pris ici au sens de "fascinants". "Le charme" dans l'Antiquité est un sortilège de la même étymologie que "carmen" - le poème qui par son rythme incantatoire, berce et séduit. Le champ de vision s'est déplacé. A l'évocation de l'île s'est substituée celle du port. Symbole de l'évasion et du voyage, il est paré de connotations mélioratives. Les assonances en figurent l'éclat du soleil sur la mer et la blancheur des voiles "mâts", "climâts", "vague marine", "âme" etc . C'est une atmosphère lumineuse. [...]
[...] En effet, nous notons une similitude entre la figure de clôture, d'ancrage qu'est le port, où les bâteaux viennent se reposer et qui est également promesse d'ouverture, d'infini et la figure maternelle, protectrice de l'amante sur le sein de laquelle l'auteur satisfait à la fois son besoin de réconfort et son désir d'évasion. La vague berce le bateau au point d'établir un lien homonymique entre la "mer" et la "mère". Pendant que le parfum des verts tamariniers, qui circule dans l'air et m'enfle la narine, Se mêle dans mon âme au chant des mariniers : Comme souvent, une continuité thématique est sensible et trouve son prolongement dans le second tercet du sonnet. La locution conjonctive "pendant que" souligne la simultaneité, la synchronie des sensations. [...]
[...] Je vois se dérouler des rivages heureux : l'espace clos intérieur, circonscrit donne lieu à un espace infini. Le poème perd son caractère anecdotique pour se transformer en un tableau visionnaire : un paysage exotique se substitue à la figure féminine. Médiatrice du rêve, la femme s'efface et ne réapparaîtra qu'au premier vers du premier tercet "guidé par ton odeur". La force des images d'une courbe - courbe des yeux, rondeur du sein, "déroule(ment)" des rivages, circularité de l'astre solaire - est remarquable : c'est un monde de douceur où les frontières entre les éléments intérieurs et extérieurs sont abolies. [...]
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