Lorsqu'il ajoute, en 1861, une section intitulée « Tableaux Parisiens » à son recueil Les Fleurs du mal, Baudelaire prend le parti de peindre, à travers sa poétique, le spleen et la misère d'une capitale qu'il qualifie lui-même de « maudite ». Au gré de ses ballades, propices à la rêverie, la méditation et la tristesse, le promeneur-narrateur rencontre de nombreux personnages qui lui inspirent ce que l'on pourrait des poèmes-dédicaces. Ainsi se succèdent « A une dame créole », « A une Malabaraise », « A une mendiante rousse » ou encore « A celle qui était trop gaie ». Baudelaire, qui déplorait sans son oeuvre Salon (de 1859) que les artistes modernes n'accordent pas plus d'importance à la « collection des grandeurs et des beautés qui résultent d'une puissante agglomération d'hommes et de monuments », s'attache dans « A une passante », à l'idée des silhouettes, signes d'espérance et de douleur qui croisent son chemin (...)
[...] Même l'interpellation que l'on note par l'emploi de la seconde personne du singulier reste vaine, et donne même à la scène un aspect de virtualité : ne te verrai-je plus que dans l'éternité Le souvenir n'est alors plus que la seule trace de la rencontre et pousse le poète à croire en l'échange d'un amour (derniers vers) muet et dont l'accomplissement ne se fait que dans la remémoration et le regard passé. Dans ce poème Baudelaire met son art au service d'une autre forme de mal. Après le spleen, la fuite du temps, la vision de l'horreur ou encore le péché, c'est l'absence de l'être (aimé et sa soudaine disparition dans le paysage urbain qui engendre sa créativité. L'anonymat, l'éphémère, l'éveil des sens et la mélancolie sont autant de moyens pour décrire la fugacité d'une rencontre fortuite. [...]
[...] Le sonnet XCIII fait partie de ce cycle et en est spécifique. Dès lors on peut se demander en quoi ce poème est-il représentatif, par le prisme de la rencontre fortuite, de l'esthétique baudelairienne ? En analysant le thème de la beauté anonyme et éphémère entrevue au milieu du désespoir suscité par la ville, nous ferons émerger l'importance des correspondances sensitives afin de dégager la fatalité du spleen urbain et baudelairien qui découle de la rencontre. Le premier vers du premier quatrain s'ouvre sur l'idée d'un anonymat collectif. [...]
[...] On retrouve donc, ici, le projet baudelairien d'extraire du mal, de la peine et de la douleur, quelque chose de Beau. C'est l'anonymat, mais aussi l'aspect éphémère de cette rencontre qui inspire le poète. De fait, cette femme passe mais ne reste pas, elle est alors fugitive et Baudelaire, s'adressant directement à elle dans le deux tercets, constate sa fuite : tu fuis dit-il. La syntaxe, elle aussi, par l'abondance des points d'exclamations, saisi le visage galopant et furtif de cette rencontre. [...]
[...] Il est ici la cause de la déploration d'une disparition et d'une absence. En effet, il est trop tard et cette rencontre ne se refera jamais peut- être Il ne reste alors au poète que la plainte d'un corps à peine vu et déjà disparu. C'est la négation qui l'emporte sur l'enchantement avec des verbes tels ignorer fuir ou encore ne pas savoir Le vers douze est d'ailleurs construit, pourrait-on dire, sur un style quasi paratactique, qui hachure le ressentiment de l'homme qui assiste à la fuite de son amour. [...]
[...] On note de nombreuses assonances : assourdissante / autour / ourlet ; assourdissante / balançant / soulevant ou encore des allitérations : deuil / douleur / d'une ; feston / femme qui viennent adoucir la violence du bruit qui, en quelque sorte, peut marquer le choc de la rencontre. C'est donc l'instant fugace, un regard, une esquisse, un geste comme le geste d'un fantôme que l'on aperçoit, qui se drape d'un manteau musical et harmonique. Cela tend alors à approfondir l'esthétique qui émane de cette rencontre fortuite. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture