<i>Baudelaire évoque ici "le désir de peindre". De peindre "celle" qui constitue la source d'inspiration unique, l'idéal de l'artiste qui prend ici la plume, tourmenté par ce désir de retrouver enfin cet être impossible - presque impossible. C'est de cette fiévreuse appétence que jaillit l'écriture de ce poème, tout entier dirigé vers cette créature ambitionnée. Nous devrons montrer que ses fondements et ses aboutissements se trouvent ...</i>
[...] Ainsi cette femme ne saurait-elle être pertinemment décrite et définie que par le recours à ce concept de la dyade qui caractérise son essence même, sans qu'elle s'y réduise pour autant bien sûr. Or celle-ci, comme nous l'avons dit, n'est autre que l'idéal du peintre qui s'exprime ici, et son modèle : c'est pourquoi on remarque dans ce poème des touches de lumière empreinte d'une dualité toute similaire à celle de ce modèle : le clair et l'obscure, la luminosité et l'ombre, le coruscant et le terne, se mêlent et s'entremêlent. [...]
[...] Cette nostalgie est si vive que le narrateur, dans le deuxième paragraphe, déroule le processus de l'apparition de cette créature idéale, toute tendue vers son abolition totale, soulignée par une cadence majeure dans la première phrase ; cette gradation vers l'effacement se fait en trois temps : apparaître (préfixe fuir disparaître (préfixe privatif dis). Pour que sa douleur s'efface, il faudrait qu'Elle réapparût : les termes la lumière et le bonheur ainsi associés, constituent pour le narrateur un hendiadyin si l'on se représente l'apparition de la femme comme un jaillissement de lumière. Le reste du texte confirme que l'artiste ne conçoit son bonheur que mêlé de malheur. [...]
[...] La répétition du préfixe privatif dans l'avant- dernier paragraphe, tend même à nous empêcher toute concrétisation de ce visage inconnu impossible et inexprimable De même, alors que la proposition en elle le noir abonde laisse supposer un visage presque entièrement noir, du bas du cou jusqu'à la pointe des cheveux, toutefois, sa bouche, beaucoup plus grande que son front fait jaillir du rouge et du blanc qui tranchent vivement et abondamment avec le noir censé dominer. Ce poème constitue bien plus une écriture du déchirement qu'un tableau. Il en est de même de certaines comparaisons, dans lesquelles il n'y a pas identité du comparant et du comparé, fort distants l'un de l'autre. [...]
[...] L'exclamation initiale ouvre le poème sur une douleur intense, celle de ne pouvoir atteindre son idéal, qui est en même temps ce qui lui procure son bonheur. Et ce bonheur, le lecteur ne saurait en douter : la première moitié de la phrase est modalisée par l'adverbe peut-être qui, absent dans la seconde, confère un caractère de certitude à la jouissance qui émane du déchirement La paronomase désir déchire met en avant l'oxymore qu'elle véhicule en montrant qu'il n'en est pas véritablement un pour l'artiste, chez qui bonheur et malheur coexistent inéluctablement sans pouvoir se dissocier l'un de l'autre : phonétiquement, les deux mots sont extrêmement proches, puisque la seule différence est le passage de à : or ces consonnes sont toutes deux des constrictives sourdes ; donc la véritable différence à remarquer est le passage d'une alvéolaire à une palatale, et donc le recul du point d'articulation vers l'arrière de la bouche : on voit donc bien que le désir de l'artiste s'enracine de plus en plus profondément en lui chaque jour. [...]
[...] Cette caractéristique se voit reflétée par la fluidité et l'eurythmie qu'accordent à la phrase l'assonance en et l'allitération en au début du troisième paragraphe. Le renchérissement et plus que belle qui confine à l'hyperbate, met en valeur cette beauté qui n'est pas humaine (une femme ordinaire n'est que belle mais dépasse tellement l'humaine condition qu'elle en devient indicible : le poète ne trouve pas de mot dans le langage humain pour la qualifier dignement au point de devoir se contenter de répéter le même adjectif, belle de piètre convenance, en le faisant précéder, la seconde fois, de l'adverbe de degré plus qui souligne l'inadéquation de l'adjectif. [...]
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