La poésie moderne se caractérise par une tentative inédite : prendre en compte la laideur du monde, non plus seulement pour s'en moquer (comme dans le genre ancien de la satire), mais pour tenter d'y déceler une beauté. C'est ce qui semble se dire dans ce vers de Baudelaire : « Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or », où l'activité poétique se voit donner comme objet la matière la plus vile, charge au poète de la métamorphoser en la plus noble, la plus belle, et la plus précieuse ...
[...] Chez d'autres poètes, chez Baudelaire lui-même, ne trouve-t-on pas l'idée de conserver à la boue sa laideur. Piège à éviter Hors contexte, il est nécessaire de prendre garde à ne pas sur interpréter le vers de Baudelaire. Par exemple, si l'on devine aisément que je désigne le poète et que c'est donc de l'activité poétique qu'il s'agit, on ne sait pas qui est ce tu : une personne, une chose, l'homme, Dieu ? Dans l'impossibilité de trancher, ou face à une mémoire défaillante (il vous semble que c'est l'homme, mais la première précaution est de se concentrer sur ce qui peut être compris. [...]
[...] L'exemple, cité plus haut, de la charogne, est à ce titre très éclairant. La chose, en elle-même, est laide, et le poème se définit d'abord par la mise en œuvre de cette laideur au sein d'un projet moral. Mais le mot lui- même, inédit en poésie, produit un choc esthétique. B. Laideur et nouveauté Ce choc esthétique est tout simplement celui de la nouveauté. Ce qui rachète la laideur, ce qui la rend si fascinante pour les poètes , c'est précisément son caractère inadmissible en poésie, et par là totalement inédit. [...]
[...] Il y a ainsi chez Baudelaire une tendance constante à détourner le discours, comme s'il ne parvenait pas à garder le cap. L'écriture, ainsi, serait à l'image de ce vin qui sait revêtir le plus sordide bouge / D'un luxe miraculeux Le poison : on pourrait parler ici d'une esthétisation du vice et des laideurs humaines. La conversion morale (faire naître l'espoir de la beauté du spectacle affreux du vice) tourne court, poète et lecteur se laissent aller à la fascination, de sorte que le constat initial Aux objets répugnants nous trouvons des appas dans Au lecteur sort renforcé de la lecture du recueil. [...]
[...] Sujet : Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or Commentez et discutez ce vers de Baudelaire. Analyse du sujet Venue du fond du Moyen-âge, la transformation alchimique du plomb trouve ici une formulation nouvelle, avec une matière plus vile encore. Au cœur de cette transformation, un sujet à la première personne qui évoque bien sûr le poète lui-même. Transformer de la boue en or serait alors une figure possible de l'activité poétique. Etant donné que vous n'avez pas choisi de faire des études d'alchimie, le plus raisonnable est de s'en tenir à cette interprétation. [...]
[...] L'album zutique, où Rimbaud et ses amis accumulent des poèmes scatologiques, n'est pas une simple pochade, mais un détour facétieux de la modernité en marche. Conclusion La laideur est ainsi d'emblée associée à la découverte et l'invention d'une modernité. La poésie apprend à parler d'objets a priori laids (par exemple, la ville moderne), dont le poète se donne pour mission de révéler la beauté. Ce faisant, il découvre à peu près en même temps que le peintre cette vérité nouvelle de l'art : que l'œuvre est indépendante du sujet, qu'une œuvre d'art peut créer à partir d'un sujet laid. [...]
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