Contre les reproches adressés à la Nouvelle Critique au sujet des froideurs toutes "scientifiques" de ses méthodes d'approche du texte littéraire, Roland Barthes rédige en 1973 un court essai regroupant des réflexions variées sous le titre Le Plaisir du texte. A l'intérieur, Barthes établit une contradiction forte entre le plaisir et la jouissance que peut procurer un texte littéraire. Le plaisir (que j'éprouve à la lecture de Verne, de Zola ou de Proust) est ce que je ressens face à un texte qui vient de la culture et qui me contente, dans une "pratique confortable de la lecture". La jouissance en revanche "fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques, du lecteur, la consistance de ses goûts, de ses valeurs et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage". La jouissance est le propre du texte qui inaugure de telle sorte que Barthes peut soutenir que : "Le Nouveau n'est pas une mode, c'est une valeur, fondement de toute critique." (...)
[...] Aussi la beauté de l'œuvre de Racine se trouve-t-elle dans sa nouveauté même, dans l'écart qu'elle crée. La dernière scène de Phèdre se soustrait aux règles strictes de la tragédie : la mort en scène contrevient au goût du public, heurte le convenable par un spectacle pénible et pour le moins désobligeant ; le suicide de la fille de Minos et de Pasiphaé bouscule les bienséances très impregnées de jansénisme. Par conséquent, la puissante parole que lance Breton dans l'excipit de Nadja se trouve entièrement justifiée : La beauté sera CONVULSIVE, ou ne sera pas c'est-à-dire que le Beau jaillit du Nouveau, qu'il n'y a de Beau qui n'étonne, émeuve, provoque stupeur et tremblements du fait de son insoupçonnable, imprévisible surgissement à l'être. [...]
[...] Si Barthes refuse le critère du Beau, c'est que le Beau représente un danger pour l'œuvre littéraire : Sarraute souligne, dans Ce que voient les oiseaux, que l'harmonie et la beauté apparente du style est à chaque instant pour les écrivains une tentation dangereuse Il est vrai que la souplesse de la plume, le talent de jeunes écrivains en font la proie désignée de ce que Gracq nomme les formes littéraires fossiles Ainsi Voltaire écrit sa Henriade et ses tragédies, Cocteau ses alexandrins, ses drames en vers pour la Comédie-Française. Preuves que la beauté du style de fait pas la grande littérature. Sarraute, dans Ce que voient les oiseaux, réinvente en ce sens les catégories de réaliste et de formaliste L'écrivain réaliste se propose de scruter ce qui lui apparaît comme étant la réalité. [...]
[...] Pour élargir la réflexion, si nous soutenons que la littérature est bien quelque chose qui dérange Poète est celui-là qui rompt pour nous l'accoutumance disait Saint John Perse on ne pourra cependant pas accréditer si facilement la position politique et morale de Barthes (selon laquelle la littérature nouvelle serait l'arme de la critique du monde) : comme l'écrit Blanchot dans L'espace littéraire, il faut écrire Le Capital et non pas Guerre et Paix. Il ne faut pas peindre le meurtre de César, il faut être Brutus pour véritablement agir dans le monde l'art agit mal, l'art agit peu. Au moins donne-t-il la parole à la minorité de nous-mêmes selon le mot de Ponge, et s'épuise-t-il à changer la face des choses mais seulement à proprement parler . [...]
[...] Il affine sa conception dans la Seconde préface à l'Olive en lui donnant le nom d'innutrition. Il reste que le poète nourri des œuvres antiques compose dans le feu de sa propre inspiration. C'est bien du neuf qui est créé : Ronsard inaugure un beau style bas populaire et plaisant dans ces alexandrins emprunt de références antiques précises (Zeus s'unit à Léda sous la forme d'un cygne, Hélène naquit de cette union) : Lors si ta belle main passant ne m'eût fait signe, Main blanche, qui se vante être fille d'un Cygne, Je fusse mort, Hélène, aux rayons de tes yeux [ . [...]
[...] Parler d'éristique, c'est aussi dire que le Nouveau n'est jamais absolument nouveau. Aragon, sans détours, écrit dans la préface aux Yeux d'Elsa : Tout le monde imite. Tout le monde ne le dit pas Il y a un certain espace littéraire, que configure un passé pertinent, ou la conscience d'une dette, c'est-à-dire de la persistance, au présent, d'une tradition : dans cette espace viennent s'inscrire les œuvres littéraires les plus novatrices, et si justement elles sont novatrices, ce n'est qu'en fonction de cet espace littéraire dans lequel elles se situent. [...]
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