L'ambiguïté et la polysémie de ce terme de « contrariétés » réclame que l'on se demande de quelles contrariétés il s'agit, et comment elles entrent en jeu dans l'oeuvre de Barbey, ainsi que dans sa posture d'écrivain. Il convient pour ce faire d'interroger dans un premier temps la contrariété aurevillienne, et d'observer comment elle contamine l'oeuvre ; on s'intéressera ensuite au processus littéraire, pour voir comment la contrariété intrinsèque à l'écriture aurevillienne se rapproche de la contradiction. Enfin, nous tenterons de faire la part entre la double tentation de contrarier et d'être contrarié, pour mieux cerner la posture de Barbey de l'esprit de contrariété (...)
[...] Cependant ces masques attirent, et Barbey ne fera pas que les décrire : il s'en choisira. Son premier masque sera celui du Dandy, figure privilégiée de la contrariété, puisque le dandy se joue de la règle et pourtant la respecte encore. Il souffre et s'en venge tout en la subissant Mais alors que quarante-huit le rend royaliste et que les progrès de la laïcité le poussent au catholicisme, sa tendance grandissante à la polémique lui fait adopter un second masque, celui de Prophète du passé. [...]
[...] Le risque que prend Barbey est ici double : c'est d'abord un risque littéraire que de s'essayer à faire contenir à une fiction de telles considérations sans qu'elle en soit dégradée, mais c'est aussi un risque politique que de le faire dans un contexte tel que celui de Barbey à l'époque. Négligeant le premier défi que constituent ces parenthèses anti- modernes mais surtout anti-romanesques on en vient à voir en Barbey, comme Pierre Schneider, un polémiste par défaut, et non par choix. [...]
[...] Cette luminosité excessive du siècle contaminera la littérature, qui pâlit à vue d'œil, et c'est peut-être davantage cette modération du talent que Barbey dénonce que sa cause, la modération de l'époque. On connait l'attirance de Barbey pour le danger ; or cette modération du talent l'empêche d'être un danger pour personne, et surtout pour celui qui l'a, car le talent est dangereux Le seul critère admis pour juger la littérature sera alors la puissance de l'élan déployé, sans considération de la direction dans laquelle il s'exerce[46] ; la littérature doit être, pour paraphraser encore une fois Nietzsche, par delà le Bien et le Mal C'est ce que l'on constate chez Barbey, et particulièrement dans une œuvre comme Les Diaboliques ; l'écriture aurevillienne déploie sa propre morale, idée que l'on retrouve chez Zola, qui pour une fois semble s'accorder avec Barbey : Une page bien écrite a sa moralité propre, qui est dans sa beauté, et l'intensité de sa vie et de son accent Ainsi, si la contrariété est pour Barbey d'Aurevilly une drogue, celle- ci est davantage un antidote à la médiocrité du siècle d'un poison qui ferait de Barbey, violent refoulé un violent révolutionnaire Cette contrariété est un instrument de création de l'écrivain, qui, interrogeant le paradoxe inhérent à la littérature (tenter de nommer jusqu'à l'innommable), la cultive avant tout pour lui-même ; toutefois, le caractère essentiellement audacieux de ce facteur de création, qui pousse l'expérience littéraire jusqu'à l'extrême, et le place par là-même en opposition à la mollesse dix-neuvièmiste, fera céder Barbey à la tentation de le transformer en posture. [...]
[...] * * * Une des phrases des Diaboliques que l'on peut considérer comme méta- littéraire et programmatrice de l'œuvre aurevillienne toute entière est celle du docteur Torty, dans Le Bonheur dans le crime, lorsque Barbey lui fait dire : Mais si c'était l'imprudence même qui fît la situation ? ajouta ce grand connaisseur en nature humaine Cette imprudence, c'est celle de Serlon d'avoir introduit Hauteclaire dans le château conjugal et d'y continuer sa liaison avec la jeune fille devenue servante, mais c'est aussi une situation universelle que Barbey dépeindra dans nombre de ses œuvres. [...]
[...] Il s'assura enfin la contrariété absolue et le droit de s'en prendre à tout ce qui l'entourait en épousant ce qui était mort et mort irrémédiablement : le passé.[4] L'ambiguïté et la polysémie de ce terme de contrariétés réclame que l'on se demande de quelles contrariétés il s'agit, et comment elles entrent en jeu dans l'œuvre de Barbey, ainsi que dans sa posture d'écrivain. Il convient pour ce faire d'interroger dans un premier temps la contrariété aurevillienne, et d'observer comment elle contamine l'œuvre ; on s'intéressera ensuite au processus littéraire, pour voir comment la contrariété intrinsèque à l'écriture aurevillienne se rapproche de la contradiction. Enfin, nous tenterons de faire la part entre la double tentation de contrarier et d'être contrarié, pour mieux cerner la posture de Barbey de l'esprit de contrariété. J'aime le paradoxe, écrit Barbey dans une lettre à Trébutien. [...]
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