Les répliques, en elles-mêmes tendues, donnent aussi de la vigueur à cet affrontement. Les deux interlocuteurs semblent observer la bienséance et respecter les convenances de la vie mondaine avec des échanges généreux en formules de politesse et en expressions précieuses, propres au badinage amoureux. Certes Montriveau, à son arrivée, se montre familier en tutoyant la duchesse ("Si tu disais vrai hier, sois à moi, ma chère Antoinette", ligne 1), mais, très vite, la réserve semble reprendre le dessus et les deux interlocuteurs recourent au vouvoiement, garant de distances. Les formules de politesse foisonnent dans cet extrait : "je vous prie" (ligne 5), "vous me permettrez" (ligne 10), "je vous prierais" (ligne 13), "vous me feriez bien plaisir de" (ligne 31), "Je suis enchanté" (ligne 33), "Me permettez-vous" (ligne 34), "Je vous rends mille grâces" (ligne 36). Mais, ces formules polies, dont l'avant-dernière est en fait une question rhétorique, prennent une nuance ironique dans leur bouche, témoignant de l'échange tendu qu'ils se livrent, implicitement polémique, substitut d'une violence physique contenue.
Du reste, l'observation attentive décèle la violence latente de cet échange par la modalité et le rythme des phrases, les modes verbaux et la nature grammaticale des mots :
- les exclamations jalonnent la conversation. La duchesse répète à la forme exclamative le "je veux" (ligne 6) de Montriveau et marque ainsi son indignation. Plus loin, elle répète à trois reprises l'interjection "Ah !" (lignes 9, 12 et 31) qui introduit ses répliques et marque son émotion.
- encore plus fréquentes, les interrogations animent les répliques et lui donnent sa vivacité. Elles sont parfois rhétoriques ("Puis, que signifie votre je veux ?", ligne 6), parfois provocatrices ("Vous l'aurez ?", ligne 28), parfois menaçantes ("Et si, ... je l'exigeais ?", ligne 11), parfois enfin elles marquent la surprise (ligne 28) ou la confirmation ("Vous ne me céderiez rien sur ce point ?", ligne 8).
- les verbes à l'impératif soulignent les rapports de force qui émaillent les échanges ("ne me compromettez pas", ligne 4 ; "Respectez-moi", ligne 5) (...)
[...] Honoré de Balzac, La Duchesse de Langeais, chapitre II Petit salon élégant de dame. Montriveau a fait irruption, sans se faire annoncer, dans la chambre à coucher de la duchesse. Quand je vous y autoriserai. M'a déjà proposé de venir me chercher. Le marquis de Rouquerolles est un galant un homme à femmes. C'est lui qui a encouragé Montriveau à se montrer plus exigeant vis-à-vis de la duchesse de Langeais. ÉTUDE ANALYTIQUE Introduction Honoré de Balzac (1799-1850) est un écrivain français, maître incontesté du roman français dont il a abordé plusieurs genres : le roman historico- politique (Les Chouans), le roman philosophique (Le Chef-d'œuvre inconnu), le roman fantastique (La Peau de chagrin), le roman poétique (Le Lys dans la vallée). [...]
[...] Puis, que signifie votre je veux ? Je veux ! Personne ne m'a dit encore ce mot. Il me semble très ridicule, parfaitement ridicule. - Vous ne me céderiez rien sur ce point ? dit- il. - Ah ! vous nommez un point, la libre disposition de nous-mêmes : un point 10 très capital, en effet ; et vous me permettrez d'être en ce point, tout à fait la maîtresse. [...]
[...] Deux types sociaux différents - La duchesse Le personnage de la duchesse, éponyme du roman, a un relief et une originalité clairement révélée par cet extrait. C'est le type même de l'aristocrate, gloire mondaine du Faubourg Saint-Germain, et s'y apparente par son train de vie souligné par : .son boudoir (ligne .sa femme de chambre (ligne .ses prétendants, parmi lesquels Montriveau bien sûr mais aussi monsieur de Marsay (ligne 36) qui l'a invité au bal. Elle a ainsi le sens de l'aristocratie avec le parler distingué, le sens du respect qu'on lui doit (Respectez-moi, je vous prie, ligne et surtout l'arrogance : Balzac la décrit comme froide et tranchante autant que l'acier, écrasante de mépris (lignes 18-19) et souligne son air de hauteur (ligne 28) face à celui qu'elle considère comme un simple soldat impérial (ligne 22). [...]
[...] Enfin, l'interdiction ferme de la duchesse, extrêmement brève et incisive, ne souffre aucune contestation : mais ici, point (vers 6). - plus rarement, ce sont des injures lorsque la duchesse traite le discours et l'attitude de Montriveau de très ridicule, parfaitement ridicule (ligne 7). La répétition de l'insulte ne la rend que plus vexatoire, d'autant qu'intensifiée par un superlatif absolu et un adverbe. - enfin, et d'une manière plus générale, l'échange doit son intensité aux formes hyperboliques, notamment sous forme de superlatifs : la duchesse parle ainsi d'un point très capital (ligne de son plus grand tort (ligne 12) et de sa plus légère promesse (ligne 13). [...]
[...] La Duchesse de Langeais est le titre d'un roman publié dans un premier temps en mars 1834, sous le titre Ne touchez pas la hache. Reparu en 1839 sous son titre actuel, il est finalement intégré dans la Comédie humaine en 1843. Dédié à Franz Liszt, c'est le portrait d'une coquette représentative des nobles familles du faubourg Saint-Germain qui tiennent leur fortune de leurs terres et vivent sur le mythe d'une naissance supérieure. Il fut inspiré à l'auteur par la Duchesse de Castries avec laquelle il eut une aventure orageuse et qui l'humilia sans jamais se donner à lui. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture