La question du lien entre l'autobiographie et la fiction est une question majeure dans l'oeuvre de Georges Perec. En effet il semble difficile d'établir une division nette entre les deux formes d'écriture, puisque l'on trouve des éléments autobiographiques disséminés dans toute son oeuvre, même dans les oeuvres se présentant comme purement fictionnelles (...)
[...] Et ici, brusquement, la voix neutre du commentateur se transforme aussi : prenant le relais des novices plus âgés que l'enfant, qui voudraient bien lui expliquer ce qui se passe mais n'y arrivent pas, la voix, tissant des répétitions incantatoires, mais dépourvues de tout lyrisme, décrit enfin le réel qui n'est plus seulement qui n'est plus seulement l'univers concentrationnaire, qui est ce à quoi tout être humain est tôt ou tard confronté : [ ] comment expliquer que c'est cela la vie, la vie réelle, que c'est cela qu'il y aura tous les jours [ ] Il y a cela et c'est tout (p.190-191). Un autre détail est celui de la confection des savons par la tante berthe p.112 qui renvoie aux stocks de savon de mauvaise qualité de W. D'autant plus que les cendres qui entreraient dans la composition du savon de berthe paraissent incongrues et renvoie plutôt à la destruction opérée dans et par extension aux camps de concentration. [...]
[...] Dans ce document, Rousset explique des faits qu'on retrouve en écho dans W : par exemple le nom de musulmans que l'on donnait aux plus faibles dans les camps, devient dans les crouilles (p. 159). Les marques d'infamie des camps nazis (signes distinctifs, port de l'étoile, numéro matricule) se retrouvent plus ou moins transposés dans les vêtements des Sportifs (p.124) de façon fort visible : on leur remet l'insigne de leurs nouvelles fonctions : un large triangle d'étoffe blanche, qu'ils cousent, pointe en haut, sur le dos de leur survêtement (p. [...]
[...] »[5]Sous l'écran de la faute d'orthographe, on trouve donc et Jules Verne ( p.195), et un personnage muet, sourd peut-être qui renvoie à la fois au vrai Gaspard Winckler et à son précepteur, spécialisé dans l'éducation des sourds-muets mais aussi à la supercherie qui consistait à faire passer la grand-mère de Perec pour muette : Comme elle ne parlait pratiquement pas le français, et que son accent étranger aurait pu la faire dangereusement remarquer, il fût convenu qu'elle passerait pour muette (p.174) Autre exemple, les substitutions qui échangent majuscules contre minuscules (les deux occurrences sont les mots Quarantaine [p.199] et Race [p.209], mots particulièrement chargés dans le contexte) pour superficielles qu'elles paraissent [ ] s'assimilent à une reconstitution de l'écriture maternelle : l'écriture mélange des majuscules et des minuscules : c'est peut-être celle de ma mère, et ce serait alors le seul exemple que j'aurais de son écriture (p.78) A partir d'exemples du même ordre, Odile Javaloyes-Espié en vient à considérer le texte des écarts [comme] un texte autobiographique allégorie du système totalitaire L'assimilation entre l'île de W et les camps nazis est faite par Perec lui- même dans le dernier chapitre, qui achève la progression narrative en citant le livre de David Rousset, l'Univers concentrationnaire. Perec s'est appuyé sur des témoignages pour bâtir la fiction W. l'un est explicitement cité, il s'agit donc de L'univers concentrationnaire de David Rousset, écrit en 1945 et publié en 1946. Ce texte, qui obtint le prix Renaudot, fut réédité en 1965. [...]
[...] Dans ce chapitre de fiction, le nom propre est associé au bretzel comme le bretzel est associé au nom propre de Perec. Et l'incompréhension du personnage principal du récit de fiction aux deux questions, celle du barman et d'Otto Apfelstahl qui se renvoient en écho, peut être vu comme symbolique du questionnement (du malaise identitaire de Perec. Le chapitre XV fourmille littéralement de sutures avec l'univers W : les plus fragrantes sont les variations sur le lettre que l'auteur désarticule et fait pivoter pour en faire un V dédoublé et qui répond au triangle cousu dans le dos des athlètes W. [...]
[...] Dans la version parue en feuilleton, le mot steward était orthographié stewart. Simple rectification ? non : Georges Perec ne dissimule pas seulement une erreur lorsqu'il substitue un d à un t ; il convoque aussi avec beaucoup de subtilité un intertexte, car stewart est mentionné dans le dictionnaire Robert comme étant un hapax relevé dans Vingt mille lieux sous les mers de Jules Verne, au chapitre VIII [ Un stewart [en note : Domestique à bord d'un steamer] entra. [...]
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