L'enfance est le plus souvent une période d'innocence, d'insouciance, de bonheur, une sorte d'âge d'or, où l'être n'est pas encore déchiré entre passé et futur, où « le cerveau fonctionne au présent » (Emmanuel Laborit, Le Cri de la mouette). L'autobiographe, plongé dans le monde des adultes quand il écrit, cherche alors, à travers le récit de ses premières années, à revivre les moments heureux de liberté et de jeu, passés dans l'absence de souci, ou les moments d'intense émotion vécus sans le contrôle tyrannique de la raison, de la morale et des contraintes : « L'homme veut son enfance, veut la ravoir », dit Albert Cohen. C'est Rousseau qui revit avec délice sa rencontre avec Madame de Warens : le lecteur ne sait pas vraiment si le présent qu'emploie Rousseau a une valeur narrative ou s'il renvoie au moment de l'écriture : « J'arrive enfin, je vois Mme de Warens » (...)
[...] ] Je tressaillis au premier son de sa voix, je me précipite à ses pieds, je colle ma bouche sur sa main Le passage au présent de narration indique assez que Rousseau est revenu, le temps de l'écriture du moins, à ces temps heureux. La remontée des souvenirs lointains de l'enfance s'accompagne souvent de la nostalgie de ces temps révolus, mais l'écrivain trouve un plaisir dans cette nostalgie même . Les vrais paradis sont les paradis perdus dit Proust. Mais ce sont encore des paradis ! Et l'on peut même, en période de malheur, trouver là une compensation - au moins mentale - à la dure réalité d'adulte. [...]
[...] Rassure-toi, j'ai fini, je ne t'entraînerai pas plus loin . - Pourquoi maintenant tout à coup, quand tu n'as pas craint de venir jusqu'ici ? - Je ne sais pas très bien . je n'en ai plus envie . je voudrais aller ailleurs . C'est peut-être qu'il me semble que là s'arrête pour moi l'enfance . Tel est le dernier dialogue entre Nathalie Sarraute et sa conscience Après l'enfance, sa conscience d'adulte, faisant corps désormais avec son être, ne saurait sans doute plus se démarquer et faire surgir quelques moments, quelques mouvements qui [lui] semblent encore intacts hors de cette couche protectrice qui les conserve, de ces épaisseurs blanchâtres, molles, ouatées qui se défont, qui disparaissent avec l'enfance (Enfance). [...]
[...] Mais le récit d'enfance n'a pas pour seul sujet l'auteur lui-même. Qui dit enfance dit parents ou du moins adultes ces êtres qui ont, positivement ou négativement, marqué l'enfant, qui l'ont accompagné dans ses premières années, avec qui la relation - bonne ou mauvaise - est toujours forte. Or, tout ce qui a marqué mérite qu'on le mentionne. Ainsi, les raisons pour lesquelles on raconte ses parents ou les adultes peuvent être de deux types, radicalement opposés. Certains autobiographes ressentent le besoin de rendre hommage à leur mère, pour son amour et sa tendresse, pour son dévouement sans faille : le cinéaste Verneuil, dans son autobiographie Mayrig Maman en arménien), s'émerveille de cette figure de mère qui l'a fait milliardaire en amour et il ne se lasse pas de se remémorer les doux moments passés avec elle. [...]
[...] le plus pénible de mes souvenirs d'enfance [ . ] Toute ma représentation de la vie en est restée marquée : le monde, plein de chausse-trappes n'est qu'une vaste prison ou salle de chirurgie. Premières empreintes, mais empreintes durables, qui éclairent l'adulte et son moi profond. Certaines de ces expériences sont des actions répréhensibles dont l'autobiographe a été l'auteur et dont il a à rougir, qu'il pourrait occulter. L'écriture offre alors l'occasion de faire la paix avec sa conscience et de dissiper les malentendus parfois entretenus. [...]
[...] Tu ne me ressembles plus, pourtant tu me ressembles dit Aragon dans Le Mentir-vrai. Pour résoudre ce paradoxe un peu destructeur, l'évocation et la résurrection de l'enfance conduisent l'autobiographe à se redonner ou à se fabriquer une cohérence, une unité qui, une fois ces moments revécus et fixés dans les pages, réduit ou même annihile l'écartèlement entre le passé et le présent et permet de sentir l'unité de son être. L'écrivain peut alors embrasser l'ensemble de sa vie et se dire Je suis encore cet enfant Marguerite Yourcenar écrit, au seuil de Souvenirs pieux : Que cet enfant soit moi, je n'en puis douter sans douter de tout. [...]
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