Dans la chambre dépouillée, l'homme est allongé sur un matelas, les yeux ouverts mais absolument immobile.
La femme est assise tout près, la main sur la poitrine de l'homme, respirant à son rythme. Elle prie Allah, sans relâche depuis trois semaines. Régulièrement, elle change la perfusion, met du collyre, fait la toilette de l'homme.
Mais parfois, elle devient agressive : qui s'occupera d'elle et de ses filles maintenant ? (...)
[...] Elle prie Allah, sans relâche depuis trois semaines. Régulièrement, elle change la perfusion, met du collyre, fait la toilette de l'homme. Mais parfois, elle devient agressive : qui s'occupera d'elle et de ses filles maintenant ? Elle est épuisée, ses prières sont vaines : l'homme ne sort pas de son inertie. Grand combattant de la guerre sainte, il a bêtement reçu une balle dans la nuque, au cours d'une rixe. Au dehors de la chambre, les coups de feu claquent, un char approche, des explosions détruisent en partie la maison. [...]
[...] A son retour, la femme ne comprend pas : que s'est-il passé ? Elle sent qu'elle devient folle : quelqu'un est-il entré ou est-ce son homme qui cherche à la piéger ? C'est que, profitant de son silence à lui, elle lui a fait un aveu pesant : lors de leur première relation sexuelle, après trois ans de mariage, elle était impure : c'est le sang des règles qu'elle a fait passer pour le sang de la virginité rompue. Si elle devient folle maintenant, c'est la faute des hommes ; elle leur en veut à tous, ou presque : au mollah, un pleutre ; aux frères de son mari qui la convoitaient et qui, maintenant qu'elle a besoin d'aide, se sont volatilisés. [...]
[...] Elle continue à parler : ses cauchemars durant sa première grossesse, un bébé mâle qui la dévorait, le soulagement à la naissance d'une fille et non d'un garçon ; la conception secrète de ses filles, par un autre que son mari, car, finalement, ce n'était pas elle, mais lui qui était stérile. De tout cela, bien sûr, elle n'avait jamais rien dit. Toutes ces vérités enfin dites, elle est parvenue au stade suprême de la Révélation. C'est alors qu'une main la saisit, c'est son homme : Miracle ! Résurrection ! La pierre de patience, comme prévu, a éclaté maintenant qu'elle est libérée. Mais, la main frappe, cogne. Elle expire en lui plantant son précieux kandjar dans le cœur. [...]
[...] Elle évoque sa nuit de noces, la maladresse de son mari. Le garçon revient plusieurs fois. Elle lui parle, l'éduque, toutes choses qui auraient été impensables autrefois avec son homme. Cela aussi, elle le dit à son homme. Elle parle, elle ne peut se retenir. Délire-t-elle ? Elle se le demande. Le garçon revient encore ; cette fois, il a besoin d'être écouté : il est orphelin, soumis et maltraité par son chef de guerre dont il est le jouet. Elle est horrifiée de la monstruosité des hommes. [...]
[...] Elle évoque son affection pour sa tante qui garde ses deux enfants, la stérilité de celle-ci, son rejet par la famille ; elle évoque aussi son beau-père considéré comme fou et rejeté lui aussi par les siens. Un autre jour, l'adolescent armé revient. Il l'a vraiment prise pour une prostituée, il la menace et lui jette une poignée de billets. Elle s'exécute, elle n'a pas le choix. La garçon, maladroit, s'enfuit assez vite. A son départ, elle hurle sa fureur, son chagrin, son impuissance. [...]
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