Si la bande dessinée ne commence qu'à grand peine à être quelque peu valorisée, elle offre néanmoins l'avantage d'une double lecture, sur les plans à la fois textuel et graphique. Il semblait donc pertinent d'intégrer Maus d'Art Spiegelman dans un corpus de récits sur la Shoah, afin d'étudier la double représentation linguistique qu'une telle oeuvre nous apporte, à la fois témoignage, sous sa forme textuelle, et transfiguration artistique sous sa forme illustrative (...)
[...] Finalement, une des questions centrales qui parcourent l'œuvre est celle de la possibilité ou non d'une identification. Ainsi, le lecteur et le fils, narrateur primaire, cherchent ensemble à s'identifier à Vladek. Le dessin en témoigne, notamment dans cette case où le nazi braque son fusil sur le lecteur et semble s'adresser directement à lui.[13] Le recours à la charge émotionnelle du récit est donc primordial dans cette tentative d'identification. L'histoire d'amour entre Vladek et Anja, les amitiés qui se tissent malgré tout au sein du camp, participent à ce pathos, mais le dessin nous donne lui aussi bien souvent à voir des actes violents. [...]
[...] Le rôle de telles illustrations est donc ici transfiguratif, au moyen de symboles et topoï qui offrent au lecteur des clés de lecture. Les illustrations réutilisent alors en partie l'imagerie concentrationnaire que l'on peut retrouver sur les documents photographiques de détenus, construisant par là-même une sorte de lieu commun, dont nous avons besoin pour comprendre le récit. De même, la croix gammée se niche dans le décor, pour signifier l'omniprésence de la menace nazie[12], tandis que le noir et blanc très souvent hachuré du dessin renvoie aux habits que portaient les détenus. [...]
[...] Comment l'expliquer? . BOUH![ . ] C'était un peu ça. Mais en permanence! Depuis l'instant où on passait la porte jusqu'à la toute fin.[3] L'indicible a donc également partie liée avec l'émotion, qui freine l'épanouissement du langage en même temps qu'elle le complète. Dans ce cas précis, il s'agit de la peur qui remplace toute caractérisation. [...]
[...] Et surtout, peut-on comprendre ce que l'on voit, nous qui n'avons pas vécu l'évènement et pour qui il s'agit davantage d'un fait historique que d'une expérience humaine ? A. [...]
[...] Au caractère indicible de l'évènement s'ajoute le problème de la représentation. Cette question court tout au long de l'œuvre et rejoint celle que le lecteur se pose : Comment se représenter un évènement que l'on n'a pas vécu? En effet, nous avons tendance à percevoir la réalité en percevant des images concrètes. Mais cette imagerie là fait défaut au narrateur, qui doit s'appuyer sur le témoignage de son père pour imaginer une représentation possible de l'évènement : Je voudrais avoir été à Auschwitz avec mes parents ; comme ça je pourrais vraiment savoir ce qu'ils ont vécu![4] Les illustrations se font donc lacunaires, confrontées à une narration fragmentaire, et l'irreprésentable découle ici nécessairement de l'indicible. [...]
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