Les écrivains engagés de la Résistance partageaient tous la conviction que les mots pouvaient eux aussi constituer des armes. La poésie par la force expressive de ses images, sa musicalité intrinsèque, son lyrisme peut en effet constituer une force persuasive efficace.
Desnos avec "Liberté" ou "Ce Coeur qui haïssait la guerre", Eluard avec "Gabriel Péri", Cohen avec "Je trahirai demain" ou encore comme ici Aragon avec ce poème "Ballade de celui qui chanta dans les supplices" ont tous affirmé leur engagement pour la Résistance, leur foi en la patrie et la liberté et célébré le courage de ceux qui étaient tombés.
C'est sous le pseudonyme de Jacques Destaing qu'Aragon publia ce poème en juin 1943 sous l'occupation dans le recueil Lettres françaises clandestines puis en juillet de la même année dans le recueil collectif L'Honneur des poètes au titre programmatique. Il le publia officiellement ensuite dans La Diane Française lorsque la censure allemande ne faisait plus pression (...)
[...] Si le poème ne garde aucune marque de ponctuation, la présence de majuscules en tête de phrases et la présence de verbes de paroles ("parle", "murmuraient", "j'ai dit", "dit" ) permettent de repérer l'alternance des tours de paroles. Le premier interlocuteur présent dans les strophes c'est à dire les refrains est un prisonnier français comme le montre l'expression du vers "une voix qui monte des fers" et le cadre spatial indiqué dans la strophe "dans sa cellule". Les interlocuteurs sont des soldats allemands comme le montrent les citations suivantes: "Ils parlent en allemand", "L'autre traduit" Ce sont des hommes de la Gestapo. On retrouve des allusions à la torture physique. [...]
[...] Cependant loin d'enfermer le résistant dans une doctrine politique précise, cette précision tient plutôt d'une volonté d'élargissement universel: il défend les valeurs françaises mais aussi l'avenir de tous les humains "Que chantent les lendemains", "Parle au hommes de demain" et transmet un message à tous les hommes du futur. Paradoxalement cette exécution est un message d'espoir. On voit bien la totale abnégation du résistant qui se sacrifie pour les générations à venir, pour un futur qu'il ne connaîtra pas, dans lequel il n'aura pas sa place. Par sa musicalité, le jeu des répétitions et des variations ce poème est un vibrant hommage émouvant au courage de ce jeune homme. [...]
[...] L'expression au pluriel "Finis tes maux" souligne elle aussi cette souffrance. On a également le vers 51: "sous vos coups chargés de fers" qui peut faire référence à des coups de bottes militaires et le terme "bourreau" au vers 19. L'homme est à bout de forces comme le montre l'expression "Alors qu'ils partent/Sur lui retombe - son sang": la citation suggère que sa tête retombe, peut-être inanimée et que le sang coule sur son visage et son corps. Mais plus qu'une torture physique la torture est avant tout psychologique: tout est tenté pour le faire parler et le pousser à la trahison la torture psychologique: L'acharnement des bourreaux: placés en situation numérique ("une voix"//"deux hommes" et "ils/il" ils l'entourent et tout à tour tentent de lui arracher des informations. [...]
[...] Les allusions à son avenir ("transformer ton destin", l'image de l'avenir comme autant de "matins") semblent cyniques dans ce contexte. C'est une tentation qui semble presque démoniaque: "murmuraient": le ton chuchoté et les sonorités suaves finalement dominante (allitération en en créent l'impression d'une fausse douceur insinueuse, d'une parole machiavélique et trompeuse idée reprise ensuite à la par la répétition: "Songe songe songe songe". L'allitération en reproduit le sifflement du serpent tentateur qui a déjà perdu une fois l'humanité. Par ce jeu des répétitions et l'imitation mimétique des paroles des soldats on ressent la pression de ce véritable harcèlement verbal. [...]
[...] Ils vont même lui demander de parler quitte à mentir comme le montre le glissement souligné par le parallélisme au vers 21 : Rien qu'un mot rien qu'un mensonge Ils savent que c'est le premier mot qui coûte et qu'une fois la démarche de parler enclenchée, amorcée il serait difficile d'arrêter. Ils sont prêts à tout pour casser son mutisme. - promesse de la fin de sa souffrance: l'expression "Finis tes maux"(&5) est à prendre au deux sens du terme: s'il finit ses mots, s'il parle, alors cesseront ses maux, ses souffrances. De même à la ligne 11 "Dis le mot qui délivre" laisse entrevoir le soulagement qui suivrait l'abandon. - promesse d'une libération immédiate: "Rien qu'un mot la porte cède/ S'ouvre et tu sors. [...]
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