Apollinaire structure les cinq premiers quintils à partir d'une logique de dissipation progressive de l'illusion amoureuse. Deux grandes étapes sont explicitement présentes : la phase d'illusion qui connaît une première déception avec la rencontre du "mauvais garçon" puis la phase de triomphe de la vérité amère qui passe par la seconde rencontre avec la femme au "regard d'inhumaine" (...)
[...] Il y a un déclin de l'illusion eu profit de la souffrance donc de la montée vers la lucidité et le réel. _ La symbolique de la femme saoule. La déchéance caractérise ici l'alcool. Il s'agit d'une illusion amoureuse qui se détruit sous le regard du poète et qui se révèle minable et laide la cicatrice à son cou nu qu'il faut relier à plaies du brouillard De plus le qualificatif inhumaine suggère que la femme aimante n'est pas de ce monde, vient sans doute des fantasmes diaboliques d'un homme amoureux qui va créer son propre enfer. [...]
[...] mais deux vers se sont intercalés C'était son regard d'inhumaine La cicatrice à son cou nu Enfin, la fameuse métaphore filée d'inspiration biblique n'est pas en reste avec sa narration heurtée qui superpose le nous les tu et les je et qui alterne et mêle le réel entre les maisons vague de briques et le fantasmé onde ouverte de la Mer rouge Conclusion : Apollinaire se livre à un exercice délicat : reprendre une tradition et un thème courant en poésie (l'expression lyrique de l'amour malheureux fondé sur des illusions) tout en évitant la banalité ou l'imitation. Une forme inventive vient parfaitement soutenir une véritable réappropriation du chant lyrique qui ici n'est plus une lamentation sur l'amour impossible mais bien la traduction de la progressive prise de conscience de la réalité du visage amoureux et du décalage avec les fantasmagories illusoires. [...]
[...] _ Des rejets et des enjambements audacieux. C'est le point le plus original de ce texte. Apollinaire cherche des effets de brouillage de la syntaxe pour que cette forme perturbée s'accorde avec le fond du texte : l'esprit dans la brume du poète apte à confondre ses fantasmes avec le réel se doit de trouver son exact pendant dans un langage également déstabilisé et chahuté. Ainsi, les vers 2 et 3 entretiennent l'ambivalence du fait de la syntaxe : Un voyou qui ressemblait à mon amour ou Mon amour vint à ma rencontre La façon fragmentée d'une phrase qui enjambe les vers 20 à 23 est également déstabilisatrice : Une femme lui ressemblant se rattache à Sortit saoule d'une taverne . [...]
[...] La métaphore relate donc de façon saisissante la violence de l'amour impossible, aussi dangereux à atteindre pour l'amant que les hébreux pour Pharaon et son armée. Les vagues de briques qui tombent renforcent ce sentiment qu'une force impérieuse impossible à endiguer vient s'abattre sur l'amoureux qui se croyait sans doute capable d'être victorieux (accumulation : Je suis le souverain d'Égypte, Sa sœur- épouse son armée L'illusion est donc aussi dans ce pouvoir que le poète prétendait posséder . et qui s'avère inutile. B. La seconde incarnation de l'illusion amoureuse : la femme au regard d'inhumaine _ Illusion et Désillusion. [...]
[...] Et en effet, Apollinaire se lance dans la déclamation de son amour perdu pour Annie Playden rencontrée en 1901 et qu'il ira jusqu'à poursuivre de ses assiduités jusqu'à Londres en 1903 comme du reste le poème l'indique. Les cinq premiers quintils sont précédés d'une dédicace à Paul Léautaud (qui l'aida à se faire publier) et exposent l'image illusoire de la femme aimée qui s'avère une amère tromperie à travers les rencontres symboliques d'un mauvais garçon et d'une femme saoule. La tradition de ce thème de l'amour comme illusion qui va finir par s'effondrer est traduite par Apollinaire de façon toute personnelle. [...]
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