L'oeuvre du poète Apollinaire occupe une place originale. Rédigée au cours des deux premières décennies du vingtième siècle, elle ne cesse de mêler à la fois un respect pour les traditions les plus anciennes (ce qui explique son pseudo qui rend hommage à la divinité grecque des arts Apollon) et une soif de modernité qui se concrétisait par la fréquentation des avant-gardistes (les peintres du futurisme, Picasso et Derain, l'écrivain Max Jacob) (...)
[...] Apollinaire supprime la ponctuation, choix commun à tous les textes du recueil et qui, ici, laisse la part belle à la musicalité qui constitue la véritable ponctuation de sa poésie. On note aussi les libertés prises avec le modèle de Brentano : le distique à la place du quatrain ; 38 vers contre les 104 vers du poète allemand. Le respect à l'égard d'une métrique régulière est malmenée : le vers 20 fait treize syllabes ; le vers 26 s'allonge (17 syllabes!) comme pour mieux s'adapter au sens (des yeux qui s'élèvent vers les cieux : brillaient comme des astres _ Des jeux sur la langue pour produire de l'ambivalence et de la surprise. [...]
[...] _ La Lorelei, personnage tragique. Un dernier aspect notable confère à La Lorelei de Apollinaire une dimension singulière : cette femme est plus humaine car consciente d'une malédiction qui pèse sur elle. En fait, elle a une parenté avec Apollinaire en ce sens que c'est une Mal-Aimée, une orpheline de l'homme qu'elle aime en dépit de ses pouvoirs. De la même façon, Apollinaire fera la chanson du Mal-Aimé tout comme cette Lorelei trouve les accents de l'élégie pour dire son mal d'aimer : Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits ; Mon amant est parti pour un pays lointain Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien ; Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là Mon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla etc . [...]
[...] Apollinaire ajoute à la figure légendaire germanique sa propre histoire, notamment celle de l'amour malheureux avec Annie Playden. La Lorelei devient alors une figure ambivalente : à la fois la femme qui lui permet d'exorciser son amour déchu (une vengeance dans le fait d'écrire sur une femme tuée par son propre maléfice?) et un double du poète lui-même (l'artiste est un sorcier aux pouvoirs merveilleux _ ceux de la création, de la beauté_ mais pouvant agir contre lui). Les ultimes vers conservent l'ambivalence : est-ce bien la mort de cette femme dont-il s'agit ou une fusion avec l'univers semblable à celle d'un poète? [...]
[...] En effet, la réécriture de Apollinaire tient à la fois de la ballade, du conte, du lieder, de l'élégie et de la complainte. On pourra sans se contredire y superposer plusieurs niveaux de lecture : exorcisation de l'amour pour Playden, hommage aux romantiques allemands, célébration de la condition du poète (entre sorcellerie du verbe et malédiction tragique) etc . [...]
[...] ) _ Les allusions à la tradition du lied. Cette composition brève pour une voix qui vient de la fin du Moyen Âge se présentait comme un chant ecclésiastique populaire. Or le texte de Apollinaire est non seulement musical et populaire (comme cela vient d'être mentionné plus haut) mais aussi de composition adoptant une forme brève (seulement 38 vers pour évoquer une légende bien plus longue ; choix de strophes de deux vers ou distiques) et avec la présence de la religion au cœur même du texte (un personnage ecclésiastique : l'évêque ; les impératifs qui apportent la dimension de la prière aux plaintes de la femme : Priez plutôt pour moi la Vierge , Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège _ Le conte du Moyen Âge. [...]
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