La Fontaine, "Fables", Livre VII, 1, "Les Animaux malades de Peste" : commentaire
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La morale explicite constituée par les deux derniers vers est fondée sur deux antithèses (puissant contre misérable) d'une part (blanc contre noir) d'autre part, instaurant un lien cause-conséquence (Selon que...) entre la stature sociale du prévenu et la sentence prononcée par le Tribunal, alors même que, selon toute justice, la sentence devrait dépendre du degré de culpabilité de l'accusé ?plus le délit est important, plus la peine est grande-. Enseignement d'autant plus pessimiste que la généralisation laisse à penser que cet arbitraire est vérifié systématiquement.
(...) Le renard, loin de confesser ses fautes, va s'improviser l'avocat du lion. Il intervient au discours direct du vers 34 à 43 dans une visée doublement stratégique. Officiellement, son discours disculpe le roi, et mieux transfigure le crime en bonne action. Il instaure ainsi l'arbitraire comme règle du jeu là où le lion avait fixé l'équité comme principe "Que le plus coupable d'entre nous périsse !". Le faisant il se dispense d'avouer ses propres fautes et impose ainsi le paradoxe comme norme. L'éloge que le rusé fait du monarque est évidemment outrancière et redondant "vous êtes trop bon roi", "trop de délicatesse" et cultive le paradoxe qui annonce déjà l'arbitraire de la sentence finale. Apprécions le télescopage dans le vers 38 "En les croquant (...) beaucoup d'honneur" (4/4 octosyllabe) du verbe "croquer" (euphémisme qui minore le pêché royal d'abord désigné par "dévorer") qui atteste du sacrifice des moutons avec le substantif "honneur" qui maquille ce sacrifice en privilège. Le "crime", par une pirouette langagière, devient donc ici une entreprise de salubrité publique puisque ainsi le roi débarrasse le pays de "canaille", "sotte espèce" et met un terme au "chimérique empire" que le berger "digne de tous les maux" se fait sur les animaux (telle est la logique développée par le renard) (...)
Sommaire
Introduction
I) Un dispositif narratif au service d'une morale
A. Antagonisme et antithèse
II) Dimension satirique de la fable
A. Anomalie "stratégique" du récit : l'absence de résolution de la crise B. Un autre silence coupable et symptomatique : celui du roi
Conclusion
Fable étudiée
Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom) Capable d'enrichir en un jour l'Achéron, Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés : On n'en voyait point d'occupés A chercher le soutien d'une mourante vie ; Nul mets n'excitait leur envie ; Ni Loups ni Renards n'épiaient La douce et l'innocente proie. Les Tourterelles se fuyaient : Plus d'amour, partant plus de joie. Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis, Je crois que le Ciel a permis Pour nos péchés cette infortune ; Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux, Peut-être il obtiendra la guérison commune. L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents On fait de pareils dévouements : Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence L'état de notre conscience. Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons J'ai dévoré force moutons. Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense : Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le Berger. Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi : Car on doit souhaiter selon toute justice Que le plus coupable périsse. - Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ; Vos scrupules font voir trop de délicatesse ; Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur En les croquant beaucoup d'honneur. Et quant au Berger l'on peut dire Qu'il était digne de tous maux, Etant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire. Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir. On n'osa trop approfondir Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses. Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, Au dire de chacun, étaient de petits saints. L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance Qu'en un pré de Moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. A ces mots on cria haro sur le baudet. Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue Qu'il fallait dévouer ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable ! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait : on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Introduction
I) Un dispositif narratif au service d'une morale
A. Antagonisme et antithèse
II) Dimension satirique de la fable
A. Anomalie "stratégique" du récit : l'absence de résolution de la crise B. Un autre silence coupable et symptomatique : celui du roi
Conclusion
Fable étudiée
Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom) Capable d'enrichir en un jour l'Achéron, Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés : On n'en voyait point d'occupés A chercher le soutien d'une mourante vie ; Nul mets n'excitait leur envie ; Ni Loups ni Renards n'épiaient La douce et l'innocente proie. Les Tourterelles se fuyaient : Plus d'amour, partant plus de joie. Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis, Je crois que le Ciel a permis Pour nos péchés cette infortune ; Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux, Peut-être il obtiendra la guérison commune. L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents On fait de pareils dévouements : Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence L'état de notre conscience. Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons J'ai dévoré force moutons. Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense : Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le Berger. Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi : Car on doit souhaiter selon toute justice Que le plus coupable périsse. - Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ; Vos scrupules font voir trop de délicatesse ; Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur En les croquant beaucoup d'honneur. Et quant au Berger l'on peut dire Qu'il était digne de tous maux, Etant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire. Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir. On n'osa trop approfondir Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses. Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, Au dire de chacun, étaient de petits saints. L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance Qu'en un pré de Moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. A ces mots on cria haro sur le baudet. Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue Qu'il fallait dévouer ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable ! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait : on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
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Extraits
[...] Si tel est le cas, le sacrifice de l'âne, en plus d'être scandaleusement arbitraire (voir est, de plus, parfaitement gratuit et donc doublement barbare (justice). Irrationnel (logique). Ou la peste aurait elle, non pas un sens littéral, mais un sens métaphorique. En effet, le registre tragique réapparaît bien dans la situation finale mais transposé : il s'agit du sacrifice de l'âne, sacrifice de l'innocent édicté par la foule à travers un on indéfini qui prononce un arrêt irrévocable, fatal. Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait : on le lui fit bien voir (vers 61-62) Ainsi la peste qui gangrène la Cour est bien cette hypocrisie qui les frappe tous La Fontaine par le biais de cette fable animalière, dénonce la violence de cette justice de Cour qui garantit l'impunité aux puissants et sacrifie les humbles. [...]
[...] Le souverain participe, sous couvert de superstition. Il n'y a évidement aucun lien logique entre le sacrifice d'un animal et la radication d'une maladie. A la préservation d'un ordre politique et juridique totalement arbitraire. Symboliquement, à travers l'âne, on tue l'honnêteté seule vertu capable de détrôner cet ordre injuste. Conclusion : La fable met en correspondance terme à terme deux antithèses qui soutiennent la morale avec deux binômes d'animaux, assurant ainsi une parfaite cohérence entre le dispositif du procès et l'enseignement pessimiste énoncé dans les deux derniers vers. [...]
[...] Le système d'énonciation privilège le nous (nos pêchés, que le plus coupable d'entre nous / se sacrifie / ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence / état de notre conscience). Du vers 25 au vers le roi, devenu sujet parmi ses sujets, confesse ses propres pêchés. C'est une déposition personnelles marquée par le je pour moi mes appétits gloutons j'ai dévoré que n'avaient-ils fait ? je me dévouerai donc ) Cette allocution, à priori loyale, car l'intervention est immédiatement suivie d'effet. [...]
[...] - Fléau infligé par les Dieux (notion de destinée funeste où l'humanité est accablée par un mal qui la surpasse) céleste courroux le ciel nos pêchés . nécessité d'expier les fautes Je crois que le ciel a permis. Pour nos pêchés, cette infortune. Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux Peut- être il obtiendra la guérison commune Prolifération des négations qui montre le fléau comme spectaculaire dans ses dimensions (nombre de victimes) enrichir en un jour l'Achéron Riche en alexandrins Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés On en voit les points, nulle mets ni loup ni renard plus d'amour, plus de joie L'oxymore mourante vie dessine un monde moribond. [...]
[...] Par ailleurs, ce retard d'identification suscite un commentaire de la part du narrateur : Puisqu'il faut l'appeler par son nom qui paraît facultatif (la peste étant bien une réalité historique au XVIIe siècle) et donc intrigant. Y aurait il ambiguïté quant à la nature du mal ? La polysémie du terme est clairement suggérée ici ! Registre tragique Echo à des récits antiques : - cf. peste qui ravage Thèses dans un canevas Tragique. - cf. références à la mythologie grecque à travers l'Achéron sur lequel s'appuie le discours du lion. [...]