Le texte tente, à partir de deux fragments extraits de 4.48, une pièce de l'auteur de théâtre Sarah Kane, de proposer une hypothèse quant à la manière dont le régime de la parole fonctionne dans la pièce. Il s'axe sur des questions de dramaturgie, de syntaxe et surtout de narration: il met en avant comment la notion de personnage disparaît littéralement de cette pièce, annonçant une des caractéristiques du théâtre contemporain.
[...] 4.48 Psychose une pièce de Sarah Kane Sarah Kane écrit un théâtre impossible à représenter . Il faut renoncer à toute forme de mise en scène telle qu'on la conçoit habituellement. Si l'on veut que le langage fasse image, qu'il soit acteur, rien ne doit lui faire obstacle, pour qu'il puisse être libéré par le silence. Il doit venir du vide. Claude Régy (L'édition de référence est celle de l'Arche, Paris, septembre 2000) Fragment 1 (p.45) - vous avez vu ce que j'ai de pire. [...]
[...] Dans ce tourment suspendu, dans lequel il n'y a plus ni temps ni espace, la figure se perd entre les frontières floues de la réalité. Discontinuité, parole elliptique, trouée, laconisme. L'univers crée par la parole est organisée selon le principe de la confusion et de la dislocation Il y a là un incommunicable qui cherche une représentation, une intelligibilité. Mais cette expérience de la déréliction et du clivage est trop radicale pour que cette représentation atteigne à la clarté, et elle se donne dans un mouvement désespéré et immanquablement désordonné. [...]
[...] Ces silences dissociés exacerbent l'importance donné au rythme et deviennent partie intégrante de l'écriture de Kane. Ces étendues de silence sont reprises par la typographie, qui laisse s'étendre des aérations disproportionnées (décrochements, alinéas, mosaïque de chiffres dans une sorte de calligramme très abstrait. C'est toute une poésie, délicate, éphémère -mais fulgurante- qui renforce la précarité du propos autant qu'elle le sublime. Le texte épelle les syllabes, il les lance, les débite, sans les circonscrire. La syntaxe ne décide pas du sens. Comment j'arrête ? Une dose de souffrance Comment j'arrête ? [...]
[...] Un très long silence. - Mais vous avez des amis. Un très long silence. - vous avez beaucoup d'amis. Fragment 2 de l'édition de L'Arche) Ouverture de la trappe Lumière crue la télévision parle des yeux partout les esprits de la vue et j'ai si peur maintenant je vois des choses j'entends des choses je ne sais pas qui je suis langue pendante pensée bloquée le froissement lent de mon esprit Où je commence ? Où j'arrête ? Comment je commence ? [...]
[...] Sarah Kane dresse une carte, un plan, trace une route, un itinéraire. Les plus noirs et le plus inoubliable des paysages intérieurs. C'est un paysage obtus, barricadé, même s'il est immatériel : il n'a pas de murs et pourtant on ne peut s'en échapper. Le désert est pire qu'une cage, quand on ne sait pas dans quelle direction est l'eau. L'esprit, prisonnier, tourne en lui-même ; s'épuise, s'asphyxie dans un espace-piège, peuplé d'interrogations et d'abîmes insondables, sans repères et sans lieu, dans une intériorité pure. [...]
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