Le 16 août 1870, à Hautefaye, en Dordogne, des centaines de paysans en armes font subir les pires sévices à un jeune aristocrate nommé Alain de Monéys accusé de sympathies républicaines. Ses meurtriers seront arrêtés, jugés et condamnés à la guillotine. Mais là n'est pas l'essentiel pour l'historien français Alain Corbin. Ce qui compte n'est pas tant le drame que le contexte de son déroulement et l'arrière-fond politique qui, ce jour-là, fait une irruption d'une violence inouïe sur la place d'un village du Périgord. Après tout, les violences villageoises n'étaient pas rares à l'époque et elles ne se terminaient pas toutes dans le sang. Des manifestations contre les agents des impôts s'étaient produites plusieurs fois dans les campagnes aux cris de « Il faut les tuer ! » sans que ce mot d'ordre fût mis à exécution.
Il a donc fallu un extraordinaire concours de circonstances pour qu'à Hautefaye le supplice d'Alain de Monéys aille jusqu'à son terme et pour que personne ne parvienne à endiguer la folie meurtrière de ses agresseurs. C'est cet enchaînement criminel qu'Alain Corbin, dans un ouvrage intitulé Le village des cannibales publié pour la première fois en 1990, a tenté patiemment de reconstituer. Car à ses yeux l'accumulation des causes, directes ou indirectes, qui ont provoqué la mort du jeune homme transforme un fait divers banal en miroir grossissant de la sensibilité paysanne au XIXème siècle. En quoi cette sensibilité marque-t-elle le fossé entre le « bon peuple » (L.105) d'une part et la « masse étrange et menaçante » (L.108) d'autre part ? Quel est le rôle joué par les processus de civilisation et de politisation de la population dans la société du XIXème siècle ?
[...] Ainsi, pour Alcide Dusolier, ce meurtre est bel et bien l'œuvre de sauvages (L.139). Or le terme de sauvage vient du latin silva qui signifie celui qui vient de la forêt Le sauvage serait par extension celui qui ne veut pas évoluer, qui vit à l'écart de la société et qui ne veut pas devenir un être civilisé D'où la question centrale : par quels moyens la société parvient-elle à civiliser les individus qui la constituent et, partant, à faire disparaître cette violence ? [...]
[...] Ces derniers nourrissent alors d'autant plus un sentiment de haine et de rancœur à l'égard de cette population qui se veut civilisée, ce qui peut conduire à une surenchère incontrôlée de la violence. Ce rejet de la violence est accompagné par la volonté patente, à la fois sous le Second Empire et sous la Troisième République, de la part des classes dominantes de la faire disparaître en civilisant la population (L.101). Ce processus de civilisation est en réalité intimement lié au processus de politisation de la population. Il s'agit de rendre les individus capables de se découvrir citoyens. Or, qu'est-ce qu'un citoyen ? [...]
[...] La manifestation d'une telle violence de la part des paysans de Hautefaye remet certes en cause le processus de civilisation et de politisation de la population mis en œuvre par les classes dominantes. Mais de là réside aussi un paradoxe fondamental : cette violence inouïe n'est- elle pas indispensable à tout avènement d'un nouveau régime politique au XIXème siècle, comme on a pu l'observer à l'instant ? Les classes dominantes n'ont-elles pas besoin d'un processus révolutionnaire à réprimer, d'une éphémère remise en cause du monopole de la violence légitime conféré à l'Etat pour justifier leur autorité ? [...]
[...] C'est cet enchaînement criminel qu'Alain Corbin, dans un ouvrage intitulé Le village des cannibales publié pour la première fois en 1990, a tenté patiemment de reconstituer. Car à ses yeux l'accumulation des causes, directes ou indirectes, qui ont provoqué la mort du jeune homme transforme un fait divers banal en miroir grossissant de la sensibilité paysanne au XIXème siècle. En quoi cette sensibilité marque-t-elle le fossé entre le bon peuple (L.105) d'une part et la masse étrange et menaçante (L.108) d'autre part ? [...]
[...] BERNARD David Groupe 1 Commentaire de texte : Alain Corbin, Le village des cannibales, Paris, Aubier coll. Historique Le 16 août 1870, à Hautefaye, en Dordogne, des centaines de paysans en armes font subir les pires sévices à un jeune aristocrate nommé Alain de Monéys accusé de sympathies républicaines. Ses meurtriers seront arrêtés, jugés et condamnés à la guillotine. Mais là n'est pas l'essentiel pour l'historien français Alain Corbin. Ce qui compte n'est pas tant le drame que le contexte de son déroulement et l'arrière-fond politique qui, ce jour- là, fait une irruption d'une violence inouïe sur la place d'un village du Périgord. [...]
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