Le William Shakespeare est une oeuvre plutôt difficile à aborder, qui n'est ni un recueil de poésies, comme semblent le regretter beaucoup de critiques, ni un roman. C'est une réflexion sur l'art, la société, dans laquelle Victor Hugo glisse beaucoup de ses convictions personnelles. Dans l'ensemble, le William Shakespeare n'a pas été compris : la critique a été rebutée par ce texte proliférant.
Pourquoi Shakespeare ? Le premier mobile de Hugo a été d'introduire la traduction par François-Victor des Œuvres complètes de Shakespeare, au moment de la publication de leur onzième volume à la veille de la célébration en Angleterre du troisième centenaire de Shakespeare. Mais le sujet, dit Hugo, a « débordé » le livre et devient un essai à part entière.
A l'approche de ce tricentenaire, Victor Hugo ressent comme une nécessité de méditer sur le génie. C'est cela que sera le livre : beaucoup plus une réflexion qu'une biographie. Les amis de Hugo décident le 11 avril, de fonder un « Comité Shakespeare. » Ce comité regroupera les fidèles, et quelques autres. Il y a là, par exemple, George Sand, Auguste Barbier, Alexandre Dumas, Berlioz, François-Victor Hugo, Michelet, Théophile Gautier, Paul Meurice, Leconte de Lisle, Laurent Pichat…Ils demandent à Hugo de présider, à Paris, un banquet dont la date est fixée au 23 avril 1864, comme le jubilé Shakespeare de Stratford-sur Avon auquel Hugo et son fils estiment avoir été invités trop tardivement. Hugo sera absent, mais l'idée justement est de signifier symboliquement cette absence par le biais d'un fauteuil vide placé à la place d'honneur. Les festivités autour de ce banquet déclenchent de violentes réactions dans la presse. Si certains comme Véron dans Le Charivari, Deulin dans L'Esprit Public ou Ulbach dans le Temps, pensent que c'est une excellente idée de rendre enfin hommage à ce génie incompris et que c'est l'occasion d'un rapprochement entre les peuples, d'autres au contraire pensent que c'est du snobisme. Ainsi, le 14 avril 1864, Le Figaro publie une lettre ouverte d'une rare violence non signée, intitulée « les Shakespeariens », dans lequel l'auteur de l'article se demande quel est l'intérêt de fêter le troisième anniversaire séculaire de la naissance du grand tragique anglais, à quoi cela peut rimer, et en vertu de quel droit. Cette lettre est en fait de Baudelaire qui, suite à un retard de courrier, pense ne pas avoir été convié au banquet et se venge ainsi. Et Baudelaire, d'énumérer et d'écrire que premièrement le banquet prévu n'a d'autre but que de « préparer et chauffer le succès du livre de V. Hugo sur Shakespeare, livre qui, comme tous ses livres, plein de beautés et de bêtises, va peut-être encore désoler ses plus sincères admirateurs. » L'accusation est grave. Les titres d'admission sont aussi très vivement discutés, « on ne se préoccupe pas beaucoup de qui parle anglais et lit Shakespeare. » poursuit Baudelaire, ce que pensent aussi Sarcey dans Le Nain Jaune ou Voiseux dans Le Pays. Ce dernier va encore plus loin. L'auteur sous-entend que les opinions politiques de Hugo se dissimulent derrière une petite manifestation littéraire apparemment innocente, en l'honneur de Shakespeare, pour provoquer le gouvernement actuel, faire un scandale et accuser ensuite ce dernier de tyrannie. Le banquet sera d'ailleurs interdit. Sand, dans sa lettre parue dans La Revue des deux mondes et Ulbach dans Le Temps sont révoltés par l'attitude intransigeante et intolérante du gouvernement qu'ils considèrent comme arriéré.
[...] Comme nous l'avons vu précédemment, Prométhée sur son Caucase évoque Hugo sur son rocher. La défaite de Prométhée par Jupiter fait penser à celle de Hugo par Napoléon le petit. Elle est intolérable parce que le droit est vaincu par le crime et parce que le faux dieu, l'empereur dérisoire, a terrassé le plus fort, le Poète, le Titan. Dans le William Shakespeare, Hugo met en relief la grandeur colossale, la puissance de Job. Le Titan, qui est le peuple, ne saurait être seulement Prométhée. [...]
[...] Cette originalité, interprétée bien souvent comme une provocation, suscite des articles très cinglants dans le Nain Jaune ou dans la Revue Contemporaine. Hugo y est accusé d'être omniprésent et de se croire le supérieur ou du moins l'égal de Shakespeare alors qu'il n'en parle à peine et d'être trop pudique pour oser représenter le génie français. La critique est ici ironique. Elle souligne que Hugo dans son œuvre, a assigné à Homère le rôle primordial dans le monde antique, du fait qu'il a fermé la première porte de la barbarie, l'asiatique. [...]
[...] »Les critiques remettent aussi en cause le style de Hugo. En effet, si certains reconnaissent qu'il y a quelques belles pages, d'autres comme Claveau trouve que : la forme est fatigante, le style haché, entrecoupé. Il regrette comme son confrère de Pontmartin, chroniqueur dans La Gazette de France, le poète des Feuilles d'automne. Sarcey, dans le Nain Jaune, prédit même la fin de carrière de Hugo. A travers les génies, c'est aussi de son œuvre que Hugo nous parle, pour en justifier les antithèses, les emportements, les extravagances qui offensent le bon goût. [...]
[...] de Saint- Valry accuse alors Hugo d'être tellement orgueilleux et fier de lui, qu'il n'a pas su voir l'évolution des attentes des lecteurs et de la critique nouvelle et que son style trop superficiel dans sa forme, ne satisfaisait plus. Le critique explique alors que sur les six cents pages, William Shakespeare n'occupe qu'une très mince place et ne nous apprend rien. Il oppose cela à L'Histoire de la Littérature Anglaise de Taine sur les chapitres relatifs au théâtre du seizième siècle et à Shakespeare, qu'il trouve admirable. [...]
[...] Pontmartin préfère alors parler de fièvre hallucination ou de fureur ! Heureusement, Hugo a encore de nombreux admirateurs qui ont bien eu raison de lui faire confiance. Ainsi, Sand, dans La Revue des Deux Mondes, écrit, enthousiaste que : L'auteur [Victor Hugo] est ici à l'apogée de sa force, de sa lumière, de sa santé intellectuelle et morale. [ ] Il vous communique sa force, il remplit votre esprit de sa splendeur ou Emmanuel des Essarts, dans La Revue française, conclut son article par ces mots élogieux : Victor Hugo sera encore longtemps la plus agile des intelligences vigoureuses. [...]
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