On connaît l'attirance de Gérard de Nerval pour le passé et l'Histoire d'une manière générale, notamment celle de la dynastie des Valois puis des Bourbons qui laissèrent leur empreinte dans cette Ile-de-France, espace à la fois réel et imaginaire où se déroule Sylvie. Le XVIIIe siècle est tout proche puisque Nerval est né en 1808 et il n'est pas le seul de sa génération à se pencher sur ce passé proche.
Nerval ne connut pas sa mère, morte en 1810 en Silésie où elle avait accompagné son époux, médecin de la Grande Armée. Son père s'en occupa quelque temps puis le mit en nourrice ; l'enfant vécut dans le Valois dans la famille de sa mère, mais aussi à Saint-Germain dans celle le son père et à Paris. Il passait ses vacances à Mortefontaine chez son grand-oncle, Antoine Boucher - on songe au peintre du siècle précédent -. La tentation, souvent dangereuse, de faire du héros romanesque le double de l'auteur semble ici acceptable. En effet, Nerval avoue dans Promenades et Souvenirs : "Je suis du nombre des écrivains dont la vie tient intimement aux ouvrages qui les ont fait connaître." Il n'est donc pas interdit de penser que le narrateur de Sylvie soit Nerval lui-même lorsqu'il fait allusion, dès le début du premier chapitre à cet oncle "qui avait vécu dans les avant-dernières années du XVIIIe siècle, comme il fallait y vivre pour le bien connaître", précise le narrateur de Sylvie dans le premier chapitre. Sans doute songe-t-il à cette "douceur de vivre" qu'évoque de son côté Talleyrand.
Par ailleurs, cette génération qui a vingt ans en 1828 souffre d'un manque cruel de perspectives. Le narrateur, dans Sylvie, parle d'une "époque étrange, comme celles qui d'ordinaire succèdent aux révolutions ou aux abaissements des grands règnes" où les jeunes gens vivent "d'espoirs incertains". On retrouve ici le "vague des passions" décrite par Chateaubriand, le spleen et le désenchantement caractérisant la génération romantique subtilement influencée par le scepticisme d'un certain XVIIIe siècle.
Nerval est bien le produit tant de son histoire personnelle - absence de la mère et rôle de l'oncle - qu'universelle. En quête d'identité, il cherche des repères dans le passé qu'il mêle au présent, transformant ainsi le réel en une vaste chimère, ce qu'il nomme lui-même dans Aurélia "l'épanchement du songe dans la vie réelle", et se réfugiant "dans la tour d'ivoire des poètes" comme il l'affirme au début de Sylvie.
[...] L'incipit de Sylvie nous plonge in media res en quelque sorte dans le premier siècle des Lumières, celui du scepticisme envers les sentiments. N'oublions pas à cet égard que Sylvie parut en 1853 et que Nerval a déjà vécu la perte de ses illusions amoureuses : la rupture avec la cantatrice Jenny Colon puis sa mort en 1842, diverses rencontres sans suite lors de son voyage en Orient de 1843. La scène se déroule au théâtre, lieu social par excellence du XVIIIe siècle. [...]
[...] Néanmoins, et en cela réside toute la force de Nerval, l'ouvrage s'achève sur une note bien réelle : avec l'annonce de la mort - déjà ancienne - d'Adrienne, le narrateur est confronté à la réalité, celle de sa vie personnelle reflétant celle, plus vaste, de la réalité historique. La précision de la date, "1832", dernier mot du texte, tombe comme un couperet : le XVIIIe siècle est bien mort. Sources - Sylvie, Gérard de Nerval, Le Livre de Poche, édition 1999, présenté et annoté par Marie-France Azéma - Voyage en Orient, Gérard de Nerval, Gallimard-Folio classique Préface d'André Miquel, Présentation de Claude Pichois. [...]
[...] La ponctuation forte du passage suivant traduit son enthousiasme à la vue de "deux éventails de nacre", de "boîtes de pâte à sujets chinois", d'un "collier d'ambre", de "mille fanfreluches", de "deux petits souliers de droguet blanc avec des boucles incrustées de diamants d'Irlande", de "bas de soie rose tendre à coins verts", en somme tout l'attirail d'une coquette du "bon vieux temps", comme il le souligne plus haut. Bon oui, mais vieux : à côté du vocabulaire mélioratif, nous trouvons des notations péjoratives : les manches sont "ridicules", les tulles "jaunis", les rubans "passés", les éventails "cassés" et le jeune homme n'a pas l'habitude d'agrafer une telle robe, ce qui a le don d'impatienter Sylvie. Le portrait de la tante "attrayante, maligne, élancée dans son corsage ouvert à échelle de rubans" semble avoir pris vie dans la jeune fille. [...]
[...] Le narrateur, dans Sylvie, parle d'une "époque étrange, comme celles qui d'ordinaire succèdent aux révolutions ou aux abaissements des grands règnes" où les jeunes gens vivent "d'espoirs incertains". On retrouve ici le "vague des passions" décrit par Chateaubriand, le spleen et le désenchantement caractérisant la génération romantique subtilement influencée par le scepticisme d'un certain XVIIIe siècle, qu'évoquent les opinions de l'oncle, comme on le verra. Spleen mais aussi idéal, pour paraphraser Baudelaire ; dans Les Filles du Feu Nerval écrit : "Enfant d'un siècle sceptique plutôt qu'incrédule, flottant entre les deux éducations contraires, celle de la Révolution, qui niait tout, et celle de la réaction sociale, qui prétend ramener l'ensemble des croyances chrétiennes, me verrai-je entraîné à tout croire, comme nos pères les philosophes l'avaient été à tout nier Nerval est bien le produit tant de son histoire personnelle - absence de la mère et rôle de l'oncle - qu'universelle. [...]
[...] Il suffit de relire cet extrait du Voyage : "Je cherchais les bergers et les bergères de Watteau, leurs navires ornés de guirlandes abordant des rives fleuries ; je rêvais ces folles bandes de pèlerins d'amour aux manteaux de satin changeant je n'ai aperçu qu'un gentleman qui tirait aux bécasses et aux pigeons, et des soldats écossais blonds et rêveurs, cherchant peut-être à l'horizon les brouillards de leur patrie." L'amour, comme l'île, n'est qu'un rêve enfui, un idéal inaccessible. Mais le narrateur, jeune encore et donc naïf, s'adonne aux plaisirs du voyage en "barques pavoisées", vers l'île "ombragée de peupliers et de tilleuls au milieu de l'un des étangs" où il partage un repas au milieu de fleurs "près de Sylvie". La mélancolie sous-jacente aux tableaux de Watteau n'est pas absente de la scène. [...]
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