Préoccupation majeure du Moyen-âge, le pèlerinage dans l'au-delà fait l'objet d'une littérature de visions où le voyageur, visitant les régions mystérieuses de l'autre monde, fait figure de témoin des béatitudes éternelles réservées aux élus et des supplices qui attendent les damnés. Largement inspiré de la Navigatio, Le Voyage de Saint Brendan, écrit sous la plume de Bénedeit au XIIème siècle, est un poème anglo-normand de nature hagiographique qui met en scène un moine irlandais nommé Brendan. Accompagné de 14 moines, il se met en quête du Paradis à travers l'océan qui lui dévoile des terres insulaires plus mystérieuses les unes que les autres. Alors qu'ils viennent d'assister à la punition de l'un d'entre eux tenté par les délices d'un palais inhabité, les moines sont rappelés par le calendrier liturgique ; les énormes brebis d'une île leur offre un sacrifice tandis qu'une baleine les accueille sur son dos pour la célébration de Pâques. De nouveau sur l'océan, une île "haute et lumineuse" leur apparaît : clôturant une année de navigation, cette terre est habitée par des oiseaux blancs d'une extrême beauté.
Quels procédés permettent à Benoît d'édifier le lecteur à travers un discours théologique tout en conservant le plaisir esthétique de la lecture ? (...)
[...] En effet, pour la première fois, Brendan affiche courtoisie et gentillesse lorsqu'il s'adresse à l'oiseau descendu de l'arbre. Il s'agit certainement d'une satisfaction, celle d'obtenir de Dieu une réponse à ses questions. De plus, Brendan remercie Dieu du spectacle qu'il lui offre : “Avez-vous entendu la façon dont ces anges nous ont acceuillis ? Louez Dieu et rendez-lui grâces, car il vous aime plus que vous ne le pensez!”. Remarquons que le point d'exclamation qui ponctue ces paroles dénote une vive émotion. [...]
[...] Par ailleurs, le son d'une cloche et la célébration de l'office divin aux heures canoniales sont aussi présente sur l'île d'Ailbe, sans oublier la chaleur de l'acceuil qui leur est réservée. L'édification du lecteur Ainsi, l'île aux oiseaux a une signification sous-jacente au niveau du récit : Brendan et ses compagnons assistent, dans un décor paradisiaque, à l'exemplarité de l'ascétisme en vue d'un perfectionnement moral. Ce passage, situé à la fin de sa première année de navigation, remplie Brendan d'une joie intérieure. [...]
[...] En effet, la description du lieu se donne d'abord à voir et à entendre, comme en atteste l'utilisation du terme “spectacle”. D'un point de vue visuel, le texte joue sur la grandeur et la luminosité de l'île décrite comme une “étendue de terre haute et lumineuse”. La grandeur associée aux éléments de l'île est exprimée tantôt par des adjectifs qualificatifs tels que ou encore tantôt par des formules exprimants l'immensité comme perte de “jusque dans les nuages” ou la cime jusqu'au sol”. [...]
[...] Cette île aux oiseaux revêt un caractère merveilleux par divers aspects; non seulement elle affiche un décor paradisiaque, mais encore elle offre une aisance singulière à ses visiteurs, s'assimilant ainsi à une terre de refuge où la merveille devient possible. Le cadre merveilleux qui se met en place progressivement permet l'introduction d'éléments surnaturels, que le lecteur accepte donc par convention. En effet, la prière exauçée de Brendan fait figure de miracle : “quand Brendan eût fini sa prière, l'un des oiseaux descendit”. Le lien de causalité qui unit ses deux propositions assimile Brendan à une divinité celtique par son don d'obtenir des animaux une aide. [...]
[...] D'autre part, la prière de Brendan est empreinte de réalisme. En effet, l'évocation de sa demande débute au discours indirect pour terminer au discours indirect libre : le seigneur par sa puissance veuille bien l'en instruire!”. L'effet est immédiat : le passage au discours indirect libre apporte une dimension de réalité dans les propos de l'abbé, d'autant que le point d'exclamation (qui n'apparaît pas dans la version en ancien français) marque l'oralité et l'insistance de Brendan. De cette manière, l'étonnement qui le pousse à demander une explication devient plus saisissable et l'adhérence à la merveille s'enclenche par identification à la curiosité du personnage. [...]
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