On a depuis longtemps noté le rôle majeur de la forêt dans le roman d'André Malraux jusqu'à dire qu'elle constitue après Perken, le deuxième protagoniste de Claude. Elle ne se contente pas en effet de dominer le seconde partie au même titre que les Moïs la troisième, et la maladie de Perken la quatrième (la première étant dominée par l'ennui et la rêverie qu'il engendre) chacune de ces réalités constituant un des monstres que Claude doit combattre pour se connaître et trouver sa place dans le monde, entre un cosmos qui l'ignore, un univers hostile qui tend à le détruire, une humanité féroce avec laquelle aucune communication n'est possible, et une rêverie qui le hante, toujours susceptible de le submerger (comme un drogué) (...)
[...] Effectivement la forêt par sa présence obsédante (même si elle ne joue plus le premier rôle, elle constitue la toile de fond active des troisième et quatrième parties), par son action délétère sur la santé physique et mentale des personnages, par ses multiples fonctions symboliques enfin, excède de beaucoup le rôle d'épreuve que Claude doit affronter pour devenir un Homme (selon Malraux) La forêt indochinoise dans le roman est d'abord une figure d'indifférence, c'est-à-dire d'indépendance du monde à l'égard de l'homme. A tout moment Claude ressent jusqu'à éprouver une souffrance aigue, cette indifférence de la nature non seulement aux souffrances de l'homme mais aussi à ses efforts et à ses réalisations. [...]
[...] Pour Malraux, être homme, c'est imposer au monde qui l'entoure sa loi. Perken et Claude cherchent à exister en imposant à cette forêt leur volonté propre : pour Claude emporter des pierres sculptées (qu'il pourra vendre), pour Perken, s'y tailler un royaume. Le roman est dominé par l'antagonisme du dur symbolisé par la volonté de vaincre des héros, et du mou ,symbolisé par l'univers informe de la forêt. L'opposition est ici très simple : les héros tentent d'imposer le dur (leur action) au mou (l'univers gluant de la forêt) pour, ainsi, se distinguer du monde informe et affirmer (par l'action) leur existence individuelle (puisque la conscience ne suffit pas à le faire : il faut agir au lieu de rêver Or, Bachelard, dans ses analyses sur les réactions que suscitent chez l'homme, les matériaux durs et les matériaux mous, a montré que le mou excite en l'homme une sourde hostilité et aussi une sentiment de malaise qui viendrait du fait que le mou tend à engluer notre volonté, à la dissoudre, alors que le dur en opposant une résistance renforcerait la volonté. [...]
[...] Pour l'essentiel la forêt indochinoise apparaît dans le roman comme une puissance redoutable qui ignore l'homme et ses créations (symbolisées ici par les temples Kmers qui jalonnent l'ancienne voir royale) La forêt indochinoise est aussi une figure de destruction : elle ne se contente pas d'être indifférente à l'homme, elle apparaît souvent comme une force franchement hostile, dont le roman souligne le pouvoir de destruction ou plus exactement de négation. La forêt attaque l'homme, comme une sorte de cancer vert à la fois dans son existence et dans ses réalisations. [...]
[...] Elle est l'allégorie (=l'image concrète et symbolique à la fois) de la menace métaphysique qui pèse sur l'homme, à la fois au- dedans de lui-même (l'inconscient qui lui échappe) et au dehors (le poids du monde extérieur qui lui résiste). Elle est donc la figure allégorique du Destin puisqu'elle représente tout ce sur quoi l'homme n'a pas (ou peu) de prise. C'est ce statut d'allégorie qui donne à la forêt sa présence dans le roman et l'élève au rand de véritable protagoniste de l'œuvre, ce que corrobore une analyse de Sartre dans Qu'est-ce que la littérature où il montre que la densité d'un objet représenté dans la fiction dépend des relations pratiques qu'il entretient avec les personnages. [...]
[...] Croire à la forêt dans la voie royale, c'est croire à l'existence réelle d'un phénomène et à la menace métaphysique qu'il incarne. [...]
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