En 1961 paraît le premier ouvrage de René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, dans lequel il jette les bases de sa théorie du désir mimétique et du sacrifice. Avec La Violence et le sacré, publié onze années plus tard, il prolonge sa réflexion en abordant cette fois la question de la violence et de son impact sur l'émergence et la conservation de l'ordre culturel. Ce nouvel essai est tout entier structuré autour de l'hypothèse du mécanisme de la victime émissaire, qu'il juge comme étant le fondement de toute forme religieuse. Après avoir rendu compte de la pensée que René Girard développe dans son ouvrage, nous tenterons de déterminer dans quelle mesure il est possible d'éclairer, à la lumière de cette pensée, des œuvres littéraires.
[...] La violence du désir du sujet se heurte alors à celle de son modèle ; la rivalité s'instaure entre les deux. L'escalade de la rivalité mimétique conduit à la violence, qui va s'auto-entretenir par le phénomène de la réciprocité[2]. De là découle une oscillation rapide de la différence, oscillation qui conduit au vertige : les positions entre les individus, maîtrisés tour à tour par la violence, ne cessent de s'inverser ; tous en viennent à se ressembler ; leur caractère monstrueux apparaît en ce qu'ils deviennent les doubles les uns des autres[3]. [...]
[...] Par ailleurs, il ne doit pas avoir conscience de la vérité de sa violence, avec laquelle il ne peut coexister. Nous pouvons constater que, dans le cadre du mécanisme de la victime émissaire, il pose cette violence comme extérieure à lui-même ; en un mot, il la sacralise. Voici comment René Girard rend compte de ce phénomène : L'élaboration mythique est un processus non conscient fondé sur la victime émissaire et dont la vérité de la violence fait les frais ; cette vérité n'est pas refoulée mais détachée de l'homme et divinisée[6] La victime apparaît comme une créature surnaturelle : elle est vue, au sein de la communauté, comme semeuse de la violence ; mais elle est aussi celle qui, d'un coup et du fait de son élimination, peut transformer cette violence en unanimité pacificatrice. [...]
[...] La thèse que René Girard défend dans La violence et le sacré nous semble toutefois difficilement utilisable pour interpréter un texte majeur : la Bible. Dans maints passages de ce texte, en effet, le rédacteur se place du côté de la victime. Nous pensons tout particulièrement aux lignes où il est question du meurtre d'Abel par Caïn[9], mais aussi et peut-être surtout aux récits de la Passion. Une telle perspective nous amène à voir la violence comme proprement humaine, et non plus comme divine et transcendante. [...]
[...] Le rite joue donc avant tout un rôle préventif. Il s'agit de recréer le phénomène de l'unanimité violente autour du sacrifice d'une nouvelle victime (victime substituée à la victime émissaire, elle-même substituée, rappelons-le, à l'ensemble des membres de la communauté. Pour que le sacrifice soit efficace, la victime doit être choisie parmi les catégories sacrifiables, c'est-à-dire en-dehors de la communauté ; elle doit toutefois ressembler à ses membres pour que le transfert puisse avoir lieu). Les membres de la communauté se trouveront ainsi protégés de leurs violences respectives : la violence maléfique sera attirée sur la victime et se métamorphosera, par la mort de celle-ci et grâce au meurtre collectif, en violence bénéfique. [...]
[...] Ainsi des interdits, et en particulier de ceux de l'inceste, que René Girard mentionne dans son essai. Il les rattache explicitement au mécanisme de la victime émissaire : le mécanisme de la victime émissaire [ écrit-il, c'est l'origine vraie [ ] des interdits de l'inceste[7] Si l'inceste fait l'objet d'un interdit, c'est selon lui parce qu'il a été touché par la violence sacrée : il est intervenu lors de la crise originelle, a joué un rôle dans le processus de la rivalité mimétique. [...]
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