Aristote appuie la supériorité de sa tragédie sur le principe d'évidence naturelle (l'imitation est dans la nature de l'homme, la nature a choisi d'elle-même le vers ïambique, ect…). De même, Victor Hugo place le drame romantique comme étant l'image de la nature. L'un se base sur la nature créatrice, divine, et l'autre sur la nature propre des choses. Tous deux affirment retrouver le genre qu'ils prônent entre les lignes des œuvres remarquables déjà existantes ; tous deux affirment que leur genre englobe tous les autres et qu'il est nécessairement supérieur. Cependant l'un est fondateur dans la mesure où il instaure ce qui sera des principes conservateurs, et l'autre est destructeur puisqu'il revendique l'éclatement de ces mêmes principes, une révolution au profit d'un régime de liberté.
Dans un premier temps, nous verrons dans quel climat, aux confluents du classicisme du 18° siècle et des audaces naissantes de quelques auteurs, se forme la pensée de Victor Hugo.
La plus grande partie de ce dossier sera consacrée aux différences qui, selon Victor Hugo, doivent opposer le « théâtre moderne » à celui des « anciens », et quelles sont les conceptions esthétiques à l'origine de ces différences. Ces propos seront classés selon les idées maîtresses : l'avènement du grotesque, le rejet des traditions classiques et la critique de la bienséance ; ils seront illustrés par des exemples contemporains, afin de souligner la conservation de l'esprit de cette révolution culturelle, et son développement.
Nous ne prétendons pas faire ici un commentaire de la Poetique, ouvrage de référence, dont nous considérerons le texte acquis par le lecteur. De même, tous les aspects de la préface au Cromwell ne seront pas traités.
Les références des citations, précises dans la mesure du possible, seront renvoyées en bas de page par une note. Les citations sans note sont toutes issues de la préface au Cromwell de Victor Hugo, dans La préface au Cromwell de Souriau, édition de Paris, 1897.
[...] Antérieurement, Corneille avait ébauché une évolution avec sa tragi- comédie, Le Cid (1637), mais fut remis sur le chemin classique par les critiques, et sépara de nouveau les genres. Ses tragédies tenaient du sublime, et non du tragique car il ne voulait pas mettre le destin au dessus de l'homme. Il y a là un éloignement par rapport au classicisme aristotélicien qui voulait qu'un homme bon soit frappé par le destin et commette ainsi la faute et la rédemption servant la catharsis. [...]
[...] Victor Hugo explicite cette idée avec la métaphore filée de l'arbre poussant à même la terre nourricière et du parasite sans noblesse aucune, lichen ou gui, qu'est l'imitateur puisant à la source des anciens. Rejet du carcan des règles Les trois règles d'unité sont malmenées par Victor Hugo qui les nomme mutilateurs dogmatiques et affirme que la cage des unités ne renferme qu'un squelette (p236). Il semble en fait que ces règles ont cloisonné le théâtre, d'ailleurs Aristote n'a pas établi ces règles, il a juste préconisé le respect relatif de ces unités. [...]
[...] Le rejet du classicisme Victor Hugo reste prudent dans ses écrits en annonçant dès les premières pages qu'il ne fait qu'une théorie contre le classicisme, sans intentions personnelles de pratique ; qu'il apprête des arguments sans vouloir en user contre les Goliaths classiques (p175). Il s'agit là d'une précaution, puisqu'il est déjà en querelle avec des journalistes et critiques littéraires, tel que Mr Hoffman. En rejetant le classicisme il veut laisser au génie la place prise par la forme. Il prône la liberté de la langue, le mélange des genres, la création. Rejet de l'imitation modèles L'imitation des anciens revêt un caractère absurde, qui est dénoncé dans la préface de Cromwell de plusieurs façons. [...]
[...] En effet sa prodigieuse étendue (p233) lui permettait une variation du décor, de cour à jardin, que l'acteur pouvait parcourir selon les besoin de l'action. Il n'y a pas réellement d'arguments clefs pour détruire les règles d'unité si ce n'est une revendication de réalisme et de liberté. En effet, à quoi bon réduire l'action à un seul lieu et à un seul jour, si le spectateur est capable de comprendre ce qu'il advient sur scène ; la perturbation du spectateur étant l'argument d'Aristote pour le respect de ces unités. [...]
[...] Victor Hugo propose le grotesque à la fois pour élever le beau, et pour éviter la monotonie, car on a besoin de se reposer de tout, même du beau (p203). Cette idée de lassitude, de fatigue associées au sublime est reprise et explicitée dans, Musée haut, Musée bas, de Jean-Michel Ribes. Des gardiens de musée, métaphore du surplus d'esthétisme au quotidien, ont en effet obtenu, dans cette pièce, l'exposition à mi-temps de mammouths, figurants la laideur, pour interrompre le flot de sublime qui les noie et les rends insensibles. [...]
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