Dans les Petites épopées qui devinrent en 1859 "La Légende des Siècles", Victor Hugo excelle à peindre non seulement les combats homériques ou les scènes dramatiques, mais aussi le décor grandiose ou sinistre: l'Espagne du Roi de Galice, Narbonne d'Aymerillot, et surtout l'effrayant château d'Éviradnus. Ce vieux burg de Corbus - plus sonore que Cotbus - est peut-être celui de Velmich que Hugo visita et dessina en septembre 1840 et qui l'inspira lorsqu'il peignit le château de Heppenheff, repaire des Burgraves (1843). Mais il avait visité bien d'autres ruines plus ou moins restaurées dans la vallée du Rhin et, parmi les légendes d'Alsace, on trouve des histoires qui pouvaient féconder l'imagination du créateur d'Éviradnus, « chevalier d'Alsace ».
[...] Le burg ET le glaive font penser à Éviradnus qui, malgré son âge, sera redoutable et victorieux. Le vers suivant est fait de coupes qui semblent annoncer la mort : Hélas!/ et Corbus,/ triste,/ agonise./ Pourtant la césure est au dixième pied après un enjambement sur l'hémistiche et un pied non accentué : agonise Mais les trois vers suivants, par leurs rejets, annoncent la résurrection du burg. Le vers avec sa césure au quatrième pied suggère l'élan, le renouvellement de l'activité guerrière : sauvage combattant est une apposition qui personnifie le burg. [...]
[...] L'échelle de l'empire appliquée à son mur. Ce château qui recèle une vie mystérieuse ET farouche, et d'où doit sortir le successeur, l'héritier de la Lusace, fait penser au burg du mont Kyffhaüser sous lequel Frédéric Barberousse dort, dans la ballade de Rückert, en attendant de ressusciter pour régner sur la Germanie. Seul peut-être de tous les poètes français, Victor Hugo a eu assez de force, d'imagination, de sens de la grandeur pour créer directement le merveilleux à la manière homérique. [...]
[...] Victor Hugo. Eviradnus Document Le burg est aux lichens comme le glaive aux rouilles, Hélas! et Corbus, triste, agonise. Pourtant L'hiver lui plaît ; l'hiver, sauvage combattant, Il se refait, avec les convulsions sombres Des nuages hagards croulant sur ses décombres, Avec l'éclair qui frappe et fuit comme un larron, Avec des souffles noirs qui sonnent du clairon, Une sorte de vie effrayante, à sa taille; La tempête est la sœur fauve de la bataille ; Et le puissant donjon, féroce, échevelé, Dit : Me voilà! [...]
[...] Mais dans ce poème, Victor Hugo obtient une rare unité de ton: c'est la légende qui naît vivante. Ces vers se composent d'une énumération de monstres, le plus souvent nommés à la fin de l'alexandrin tandis que leurs cris ou leurs mouvements sont placés en rejet pour marquer la surprise : aboyer, grondent, mordent, battent, grincent. À chaque enjambement il semble que quelque chose remue, se décroche, effraye. Les monstres sont tirés de la mythologie, des blasons; certains ont été observés à Notre-Dame de Paris. [...]
[...] Un ruissellement vaste, affreux, torrentiel, Descend des profondeurs furieuses du ciel; Le burg brave la nue ; on entend les gorgones Aboyer aux huit coins de ses tours octogones; Tous les monstres sculptés sur l'édifice épars Grondent, et les lions de pierre des remparts Mordent la brume, l'air et l'onde, et les tarasques Battent de l'aile au souffle horrible des bourrasques, L'âpre averse en fuyant vomit sur les griffons Et, sous la pluie entrant par les trous des plafonds, Les guivres, les dragons, les méduses, les drées, Grincent des dents au fond des chambres effondrées; Le château de granit, pareil au preux de fer, Lutte toute la nuit, résiste tout l'hiver; En vain le ciel s'essouffle, en vain janvier se rue; En vain tous les passants de cette sombre rue Qu'on nomme l'infini, l'ombre et l'immensité, Le tourbillon, d'un fouet invisible hâté, Le tonnerre, la trombe où le typhon se dresse, S'acharnent sur la fière et haute forteresse; L'orage la secoue en vain comme un fruit mûr; Les vents perdent leur peine à guerroyer ce mur, Le föhn bruyant s'y lasse, et sur cette cuirasse L'aquilon s'époumone et l'autan se harasse, Et tous ces noirs chevaux de l'air sortent fourbus De leur bataille avec le donjon de Corbus. VICTOR HUGO, Éviradnus Plan I. Une mort apparente. Le déchaînement de l'hiver. Le retour à la vie. La joie du combattant. II. [...]
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