En 1968, le rapport de Genet à la pièce qui l'a fait connaître en France est assez ambivalent : d'abord par l'accueil qu'il a reçu du public (pièce terriblement controversée dès sa parution, en 1947) et puis par le commentaire que lui a dédié Sartre (Saint Genet, comédien et martyr), qui exhibe à un tel point les mécanismes psychologiques de l'auteur qu'il en est traumatisé. Il n'est donc pas étonnant que dans sa préface (de 1960), il s'emploie à réduire sa pièce à un « conte personnel » (qui n'aurait comme but principal que de le « dégoûter » de soi-même).
L'argument des Bonnes est assez simple : deux bonnes (deux sœurs) veulent tuer leur maîtresse, car elles en ont assez d'être humiliées, méprisées. C'est toute leur fonction sociale qu'elles rejettent, fonction qui d'emblée implique un positionnement particulier (déterminisme de la fonction sociale : une « bonne » ne peut être « bonne »)
Cette pièce n'est pas uniquement une glorification de l'image et du reflet (cf. le jeu des miroirs dans l'espace scénique) – vocation générale du théâtre de Genet – c'est-à-dire, dans la veine traditionnelle (du théâtre), une volonté de confondre et de co-fonder l'illusion et la réalité (ces deux notions qui n'ont de sens qu'à l'intérieur de la « réalité » elle-même, sont fondées sur la même base, la fiction théâtrale elle-même). Ce n'est pas non plus, dans le même ordre d'idées (brouillage des repères), une illustration de l'arbitrarité du « personnage » (contre la vision d'unité du personnage : chaque « acteur » réel interprète un personnage fictif clairement défini), dans une pièce où chaque acteur (Solange ou Claire) peut incarner tout (et n'importe lequel) personnage (« Claire » : Solange ou Madame, « Solange » : Madame ou Claire).
[...] La croix chrétienne est un signe de rencontre de deux droites en un point unique (leur intersection) : fusion de deux incomplétudes en une pseudo-complétude (tout comme Jésus qui est lieu de convergence du divin et de l'humain). Structure que nous empruntons à P. Piret dans son commentaire du Balcon de Genet : Photographie et politique chez Jean Genet, Radiographie d'une mutation in La Littérature à l'ère de la reproductibilité technique, Réponses littéraires au nouveau dispositif représentatif créé par les médias modernes. Première partie : le nouveau statut de l'œuvre, Chapitre 2 : le modèle photographique, 3e art., coll. [...]
[...] Solange et Claire veulent s'inscrire dans la génération, dans la chaîne des signifiants. Par leur cérémonie elles évoquent (préparent leur tour suivant d'être maîtresse (en partant avec l'amant). La simulation vise l'inscription dans la lignée (de maîtresses), se réfère à toutes les situations précédentes et analogues (même rapport serviteur-maître) : une bonne (n'importe laquelle : c'est pour cela que Solange, durant la cérémonie, a l'identité Claire : on pourrait tout à fait concevoir un rapport Madame-Solange, Solange gardant son identité propre par rapport à Madame (Genet la dépersonnalise : elle reste une maitresse sans nom). [...]
[...] Solange, le lecteur l'a déjà vu dans le texte (p. 139), rêve d'accompagner Monsieur en Guyane, de partir rejoindre son amant en Enfer (le bagne). Après le meurtre de la fin, la figure de Madame, rêvant de partager la peine de Monsieur du moment qu'elle peut être avec lui, rejoint dans son inconscient celle de Solange, qui partira au bagne pour avoir tué sa sœur. La coïncidence des deux figures est pleinement réalisée : Solange e(s)t Madame, la meurtrière peut aller rejoindre son amant au bagne (car il est clair qu'on ne laissera pas une femme innocente rentrer en prison sans motif valable). [...]
[...] Modèle athélogico-politique : Madame instrumentalise l'image pour nourrir son apparence. L'image devient un signifié pur (la signification, qui est effet de signifiant, de l'image est imposée : provoquer l'humiliation et la soumission parfaite des bonnes), on nie son caractère de signifiant, donc sa profondeur. Soit 1. Transcendance de l'image (la fonction) par la comédie (les deux bonnes savent que la croyance n'a plus cours dans leur société, mais ne font que l'utiliser pour servir leur cause pas la Cause ; 2. [...]
[...] Solange a voulu tuer (étrangler) Madame mais n'en a pas eu la force. Claire veut être plus forte qu'elle et se propose d'empoisonner Madame (avec le concours de Solange, d'abord réticente). Mais Claire échoue dans sa tentative d'empoisonnement (tilleul avec gardénal) : Madame part rejoindre Monsieur (qui venait d'être libéré). Là, les deux complices sont coincées : Madame ne tardera pas à se rendre compte de leur duplicité (lettre écrite par Claire). C'est le début d'un grand bouleversement : toutes les deux cèdent chacune à leur tour à la tension qui les submerge. [...]
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