Le traitement de l'espace et du temps dans l'Ecume des jours de Boris Vian

Résumé du document

Le monde que décrit le roman ressemble au monde réel par bien des aspects, tant sur le plan spatial (références à des lieux connus de Paris : la patinoire Molitor, le Louvre, l'hôpital Saint-Louis, la gare Saint-Lazare) que sur le plan temporel (le récit est indissociable de l'époque de la Libération qui vit s'épanouir l'existentialisme et le jazz dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés). Mais plusieurs éléments éloignent le cadre spatio-temporel du roman du réalisme.

Extraits

[...] La transformation de l'espace On remarque un triple phénomène d'assombrissement, de réduction et de liquéfaction. Ainsi, un lieu enchanteur dans une première scène devient par la suite un lieu de désolation, comme l'église, d'abord lieu enchanteur lors du mariage puis sombre et triste lors de l'enterrement. Ce phénomène de dégradation concerne en premier lieu l'appartement de Colin. Au début du roman caractérisé par sa lumière dorée et ses pièces confortables (après le mariage la chambre est encore assez élevée de plafond et prend sur le dehors par une baie de cinquante centimètres de haut la lumière), l'appartement est très vite victime d'un phénomène de rétrécissement et d'assombrissement (la baie vitrée se réduit à deux rectangles oblongs puis à quatre petites fenêtres carrées une lumière un peu grise ayant remplacé la luminosité initiale). [...]

[...] Cette accélération peut également être négative, lorsqu'elle touche au vieillissement des personnages par exemple, comme Nicolas, qui tout d'abord fait 21 ans alors qu'il en a 29 et que son passeport indique mystérieusement 35 ans j'ai l'impression que je vieillis confie-t-il). Ce vieillissement constitue une projection de la douleur physique sur un état physique. On pense également à l'homme qui accueille Colin à l'usine d'armement, qui a 29 ans et ressemble à un vieillard (c'est ici la dureté du travail qui provoque l'accélération du temps). III/ La fonction symbolique de cette dégradation Toute perception de l'espace et du temps est subjective. Le cadre spatio-temporel est une variable qui suit l'évolution des personnages, revêt une forte valeur symbolique. [...]

[...] Tout le cadre spatio-temporel participe à l'action. En littérature, ce procédé de contamination du monde extérieur par l'intériorité des personnages fut particulièrement utilisé par les romantiques, en terme de projection de l'âme sur le paysage. Ainsi, au bonheur des personnages succède leur malheur, à un monde lumineux et ferme succède un monde sombre, étroit et marécageux. La maison, mythe du refuge, devient le lieu de l'étouffement, animée, semble-t-il, d'une volonté hostile. L'usure, synonyme du temps, a tout d'abord contaminé le décor, l'ordre et la clarté. [...]

[...] De même, la réduction de l'appartement de Colin est la transposition matérielle de l'angoisse des personnages devant la mort. Un passage du texte explicite clairement cette transformation subjective de l'espace par les émotions des personnages. Colin est à la patinoire, on le demande au téléphone. Il apprend que Chloé a eu une syncope. Les parois de la cabine se resserraient et il sortit avant d'être broyé Ce n'est pas la gorge de Colin qui se serre, c'est la cabine téléphonique dans laquelle il se trouve. [...]

[...] Ainsi, la dernière scène se déroule dans une île marécageuse. L'île des morts, comme l'appartement de Colin, est un véritable marécage. II/ L'accélération du temps La dégradation qui concerne l'espace est aussi à l'œuvre dans le temps, et apparaît sous les aspects de l'accélération. Certes l'évocation successive de l'hiver, du printemps et de l'automne correspond à une chronologie réaliste, mais l'absence de l'été est troublante, signe de la négativité qui s'empare du monde romanesque. Le temps semble se plier à la subjectivité des personnages, il est une durée intérieure vécue et transformée, pouvant être accélérée : ainsi au premier chapitre, un samedi soir, Colin attend Chick dont il dit cependant qu'il ne passe lui rendre visite habituellement que les lundis, mais Colin sentait l'envie de voir Chick souligne le texte. [...]