La nuit, toute première œuvre d'Elie Wiesel et publiée avec l'aide de François Mauriac, est le premier volume d'une trilogie — La nuit, témoignage qui date de 1958, L'aube, récit publié en 1960, et Le jour, roman publié en 1961 — reflétant l'état d'esprit de l'auteur pendant et après la Shoah. Dans ses témoignages, le prix Nobel de la paix célèbre la mémoire collective juive et dépasse le souvenir des atrocités subies et la tentation du talion par un appel vers l'avenir de son peuple.
Un des thèmes propres à l'ouvrage La nuit et plus généralement à la littérature concentrationnaire est celui de l'identité. Le dictionnaire propose plusieurs définitions du terme:
- caractère de deux objets identiques
- caractère de ce qui est un
- ensemble de traits culturels propres à un groupe ethnique qui lui confèrent son individualité
- fait de pouvoir être légalement reconnu pour tel sans nulle confusion (état civil).
Si à première vue seules les deux dernières définitions semblent se rapporter au sujet, la polysémie du terme ‘‘identité'' est en fait remarquable au sein de l'œuvre. C'est ce que nous allons voir en observant combien un camp de concentration est un lieu dépourvu d'identité, que l'enfermement forge aux détenus une nouvelle personnalité, mais que malgré tout l'humanité d'Eliezer et de certains autres rend cette expérience unique.
[...] Cependant, le témoin qu'est Eliezer se souvient des identités. À la différence du point de vue du S.S. qui met tout le monde au même niveau, le point de vue du témoin est humain. Dans les camps, on distingue les gens par sexe, âge et nationalité. Mais pour Eliezer, un regard peut faire la différence, par exemple il est touché par le petit Pipel condamné à mort, par une petite fille juive sage et belle, aux cheveux d'or et au sourire triste, tuée avec sa mère C'est donc à quelques détails qu'il identifie ceux qui le toucheront plus que d'autres, ceux à qui il s'identifie lui- même. [...]
[...] Le motif du déguisement est récurrent (p.82, p.152) et nombreux sont ceux à Auschwitz, Birkenau ou Buna qui sont en possession de faux papiers. Cette déconstruction contrainte de leur identité est très déstabilisante psychologiquement, elle entraîne un avant, pendant, et après la détention en camp. Ceux qui en ont réchappé ont donc été trois personnages différents dans leur vie. Eliezer n'y échappe pas et sa transformation civile prend l'ampleur d'une transformation générale de son caractère. Il dit p.83 j'étais devenu un tout autre homme, moi aussi. L'étudiant talmudiste, l'enfant que j'étais s'étaient consumés dans les flammes. [...]
[...] Laissez tout dans le wagon ! Contraints donc dans un premier temps à sélectionner les objets qui ont le plus de valeur sentimentale ou financière pour eux, ils se retrouvent vite dépouillés de tout bagage et par là même de tout ce qui les rattachait à leur vie antérieure : p.71 Les objets chers que nous avions traînés jusqu'ici restèrent dans le wagon et avec eux, enfin, nos illusions Mais cette entreprise de neutralité ne s'arrête pas là, en effet on leur enlève leur vêtements, on les fait tondre, on leur arrache leurs couronnes en or. [...]
[...] Ces liens sont, malgré les apparences, très profonds, Eliezer reconnaîtra d'ailleurs cette femme bien des années plus tard dans le métro. Il y a ensuite bien sûr la figure paternelle, capitale dans le thème de l'identité. En effet, un père représente le reflet de ses origines, sa famille, sa race, sa culture. Son père le rattache à son passé, lui transmet des valeurs ; au moment où il croit qu'il va mourir, son père lègue à Eliezer son couteau et sa cuiller en symbole d'héritage. [...]
[...] Hitler avait pour but de faire disparaître totalement l'identité d'un peuple. Dans la préface Elie Wiesel explique cette extermination générale : Les S.S. essayaient de fonder une société où les Juifs n'existeraient plus, [ ] un monde en ruines où les Juifs n'auraient jamais existé La guerre que Hitler et ses acolytes livraient au peuple juif visait également la religion juive, la culture juive, la tradition juive, c'est-à-dire la mémoire juive La volonté atroce de faire disparaître toute une culture revient à ôter l'identité d'un peuple entier : le juif incarne l'absolu du destin tragique. [...]
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