Dans La Fusillade du 3 mai, Goya peint un clair-obscur révélateur : la part de réalité réside-t-elle dans ce qui est caché dans la zone sombre ou dans ce qui est mis en lumière ? Ce même problème semble posé au théâtre : ce qui est montré est-il illusion ou réalité ? Cette question se pose davantage dans Théâtre de Clara Gazul de Mérimée, où l'identité du narrateur a longtemps été ambiguë. Pirandello, partisan de la transparence théâtrale, à l'insu de l'illusion, soulève plusieurs problématiques :
« Le Directeur : Bien sûr ! Mais d'un autre côté vous comprenez bien qu'on ne peut pas mettre des écriteaux ou changer de décor à vue trois ou quatre fois par acte !
Le Grand Premier Rôle Masculin : Ca se faisait autrefois…
Le Directeur : Oui, au temps où le public était sans doute comme une fillette !
Le Grand Premier Rôle Féminin : Et l'illusion plus facile ! »
Le Directeur défend l'unité de lieu qui caractérise l'esthétique classique. On peut dès lors se questionner sur la place attribuée au classicisme dans Théâtre de Clara Gazul et, par conséquent, sur la situation de Mérimée. Est-il complètement classique ou penche-t-il plutôt vers le romantisme, à la fois esthétiquement, politiquement et philosophiquement ?
« Le Père (dans un éclat de fureur, se levant) : L'illusion ? De grâce, ne parlez pas d'illusion ! Pas ce mot là ! Pour nous, il est particulièrement cruel !
Le Directeur (abasourdi) : Et pourquoi donc, s'il-vous-plaît ?
Le Père : Oui, cruel ! Cruel ! Vous devriez pourtant le comprendre !
Le Directeur : Et quel terme employer ? L'illusion qu'il faut créer ici, pour les spectateurs…
Le Grand Premier Rôle Masculin : … avec notre interprétation…
Le Directeur : … l'illusion de réalité ! »
Le problème de l'illusion est soulevé ici. Le père concrétise, sous le pronom « nous », la vision moderne, voire romantique, d'un théâtre transparent. La cruauté de l'illusion est suggérée par le père.
Le Père : Je comprends bien, monsieur. C'est peut-être vous, en revanche, qui ne nous comprenez pas. Pardonnez-moi, mais ici, pour vous et vos comédiens, n'est-ce pas, il s'agit seulement – et c'est bien naturel – d'un jeu.
Le Grand Premier Rôle Féminin (indignée) : Un jeu ! Mais nous ne sommes pas des enfants ! Ici on joue sérieusement.
Le Père : Je ne dis pas le contraire. Je parlais du jeu de votre art, qui vise précisément, comme le disait monsieur, à donner l'illusion parfaite de la réalité. »
Le père emploie le nom commun « jeu ». S'agit-il du jeu dans son acception ludique, ou dans le sens d'une fiction ou d'une dissimulation ? Dans ce cas, il s'agirait pour les acteurs de jouer un rôle, ce qui irait dans le sens de la mise à distance entre le rôle joué et la réalité de l'acteur. Mais le terme de jeu, au sens où il suppose l'amusement, n'entre-t-il pas en contradiction avec l'adjectif qualificatif « cruel » ? Le théâtre peut-il être à la fois illusion, jeu et cruauté ?
Que dissimule l'illusion du théâtre mériméen et quelle est la fonction de celui-ci ?
Nous analyserons d'abord l'hésitation de Mérimée vis-à-vis de l'illusion théâtrale : celle-ci s'applique-t-elle dans Théâtre de Clara Gazul, ou Mérimée la réfute-t-il ? Cette ambiguïté semble d'abord relever d'un « canular », et donc d'un jeu de l'auteur, qu'il mène tout au long de ses pièces. Mais n'y a-t-il pas un problème existentiel qui se profile derrière cette ambiguïté, un jeu cruel du théâtre, vis-à-vis d'un dramaturge sceptique ?
[...] Cruel ! Vous devriez pourtant le comprendre ! Le Directeur : Et quel terme employer ? L'illusion qu'il faut créer ici, pour les spectateurs Le Grand Premier Rôle Masculin : . avec notre interprétation Le Directeur : . l'illusion de réalité ! Le problème de l'illusion est soulevé ici. Le père concrétise, sous le pronom nous la vision moderne, voire romantique, d'un théâtre transparent. La cruauté de l'illusion est suggérée par le père. Le Père : Je comprends bien, monsieur. [...]
[...] Le Père : Oui, cruel ! Cruel ! Vous devriez pourtant le comprendre ! Le Directeur : Et quel terme employer ? L'illusion qu'il faut créer ici, pour les spectateurs Le Grand Premier Rôle Masculin : . avec notre interprétation Le Directeur : . l'illusion de réalité ! Le Père : Je comprends bien, monsieur. C'est peut-être vous, en revanche, qui ne nous comprenez pas. Pardonnez-moi, mais ici, pour vous et vos comédiens, n'est-ce pas, il s'agit seulement et c'est bien naturel d'un jeu. [...]
[...] Mais l'insertion d'objets et d'éléments romanesques est intrigante et amène le lecteur à s'interroger sur le mouvement auquel appartient Mérimée. Les chandelles, la mandoline, ou encore des répliques telles que : Il est mort ! il est mort ! Et sa mère qui me l'avait confié ! (page 62) trompent le lecteur, au lieu de le guider vers la réalité de l'auteur. Ces divers éléments, faisant penchez tantôt vers le classicisme, tantôt vers le romantisme, tantôt vers le théâtre, tantôt vers le roman, construisent une illusion autour de la véritable identité de Mérimée. Ce jeu ludique semble fait exprès. [...]
[...] D'abord, la cruauté et la violence se voient dans les scènes d'agôn, c'est-à-dire de violence, d'attaque, de dispute, de confrontation. Antonia Fonyi, dans Mérimée à découvrir signale que la simultanéité de la violence et de l'ironie dans le Théâtre de Clara Gazul n'est ni maladresse ni invraisemblance. C'est bien qu'elle relève de la volonté de l'auteur. Le jeu cruel consiste ici à jouer l'illusion théâtrale pour mieux la désamorcer. C'est-à-dire que Mérimée dissimule derrière les aspects comiques de sa pièce son austère vérité, sa profonde identité, à la fois cruelle pour lui-même et véritablement indicible. [...]
[...] En effet, Mérimée met en scène des personnages grotesques tels que les inquisiteurs, qui ont pour effet de faire rire le lecteur. De même, des effets de décalage et de contraste définissent le style léger de Mérimée. Prenons par exemple le terme forniqué employé par Fray Antonio dans Une Femme est un diable, page 135. Le niveau de langue contraste avec le ton de la tragédie. N'est-il pas également décalé, historiquement, de positionner la femme comme figure centrale dans la plupart de ses saynètes, comme Une Femme est un diable, Le Ciel et l'enfer, ou encore Le Carosse du Saint-Sacrement ? [...]
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