Bien que la ville soit en état de siège, il n'y a curieusement aucune force de police à Praça de Alegria et Pereira découvre qu'il s'agit d'une fête salazariste quand il voit une banderole où est inscrit « Honneur à Francisco Franco » et une autre en hommage aux militaires portugais en Espagne. Il aperçoit un jeune homme dont il prétend qu'il lui ressemble quand il était jeune. Celui-ci chante et Pereira le rejoint tout en se demandant si ce Monteiro Rossi n'est pas un nationaliste. Il lui parle de son souhait de lui faire rédiger des nécrologies anticipées, pour le cas où un grand écrivain viendrait à disparaître inopinément. Bien que le jeune homme ne soit nullement intéressé par la mort, lui qui dit n'être fasciné que par la vie, on se met néanmoins d'accord pour faire un essai sur Garcia Lorca, grand poète et dramaturge espagnol, « mort dans des circonstances obscures » (39) au tout début de la guerre civile espagnole. Pereira recommande au nouveau stagiaire d'y mettre les formes, avec une grande prudence. Monteiro Rossi en profite pour demander immédiatement une avance car il doit acheter un pantalon ? Pereira par maladresse vient de tacher le sien avec une choppe de bière- et voudrait sortir avec une jeune fille, Marta, qui va venir le chercher dans un moment. Quand elle arrive, Pereira la trouve belle avec ses yeux verts, ses cheveux cuivre, son teint clair, ses épaules rondes. Présentations faites, elle regrette que Lisboa n'ait pas parlé de la mort du charretier et Pereira éprouve « un sentiment injustifié de culpabilité » (30). Elle critique aussi quelques écrivains et le fait si ouvertement, si librement que le journaliste s'en inquiète. Elle lui demande de la faire danser et Pereira vit un moment de grâce pure. Puis elle va vers le Tage alors que les deux hommes poursuivent leur conversation. Presque candidement, Monteiro Rossi avoue avoir copié son mémoire de maîtrise mais Pereira lui donne néanmoins carte blanche pour parler des auteurs qu'il choisira (...)
[...] Il n'a pas l'allure, la fierté de sa compagne. C'est un actif. Et ce sont eux si différents et si unis qui vont influencer Pereira alors que c'est l'inverse qui aurait du se passer, prétend-il. Le père Antonio est un étonnant curé qui est, au début, une des rares personnes avec qui Pereira peut parler. Il est aussi atypique car, à la différence de la grande majorité du clergé portugais, il ne soutient pas le régime en place. Bouleversé par l'assassinat du charretier c'est lui qui mettra son ami journaliste face à ses responsabilités, lui conseillant de faire son choix comme le clergé basque l'a fait en risquant la sanction suprême : l'excommunication par la Vatican (149). [...]
[...] Cet homme va se révéler être aussi d'une extrême délicatesse. Ainsi met-il le portrait de sa femme face par-dessus pour qu'elle respire bien, elle qui toute sa vie eut besoin d'air (105). Ainsi prépare-t-il avec une sorte de tendresse le repas pour Monteiro Rossi (180) qu'il recouvrira ensuite, quand il dort, pour qu'il n'ait pas froid comme le ferait un père qui veille son enfant. (187). Cet homme sans qualité comme le définit Vargas Llosa, en référence au personnage de Robert Musil, a en fait une humanité qui va le conduire au sursaut moral : il ne peut pas tout admettre, tout accepter. [...]
[...] Honorine apprend du jeune homme que son mari l'aime toujours et elle accepte de revenir. Ils auront un enfant. Maurice qui est bien sûr tombé amoureux d'Honorine, s'éloigne à l'étranger. Honorine, comme Bérénice ou La princesse de Clèves, c'est trois personnages à l'âme noble, frappés par une fatalité qui ne rencontrent que le malheur selon Pierre Citron dans son introduction à l'édition de la Pléiade. Pereira ressent comme une nostalgie ou bien est-ce simplement l'idée qui lui plait (113) ? [...]
[...] Peur, méfiance ? Ce n'est qu'à la fin qu'il cite sa source en interrogeant Pereira sur l'image dictatoriale qu'aurait son pays à l'étranger. Le directeur du journal est un personnage trouble. On ne sait pas pourquoi il a créé Lisboa mais la page culturelle dont il a chargé Pereira n'est pour lui qu'un alibi intellectuel servant à démontrer l'ouverture du régime salazariste dont il se révèle un des officiels. Mondain, séducteur, léger quand il prend une décision, incompétent quand il ne valide pas une information (le choix de la nouvelle patriotique) obséquieux quand le régime le convoque, vulgaire quand il veut tutoyer Pereira, histoire de mieux le mettre sous son contrôle. [...]
[...] Pereira, sur ce point, ne transigera qu'une fois, avec le docteur Cardoso. Mais il refuse toujours au narrateur d'évoquer ses rêves ou ses pensées sur sa vie, suivant en cela les conseils de son père. (117). L'oppression n'arrête ni la vie ni la fiction. Pourtant il découvrira que la police politique est bien informée sur lui car les dictatures n'aiment pas ce qui leur échappe. Or ce sont généralement les rêves qui, par définition, sont une évasion du monde réel quand ils ne sont pas la source ou l'annonce d'une évolution personnelle radicale. [...]
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