Dans son article intitulé « L'art de la narration dans Ferragus », Alan Raitt affirme à propos de ce roman : « Par son côté mystérieux et quasi policier, il ouvre la voie à des romans comme Une ténébreuse affaire et Le Curé de village ». Or ces deux textes font partie des œuvres balzaciennes qui intègrent le plus la notion de sublime. Roman bouillonnant de rebondissements, fourmillant d'intrigues, plus ou moins vraisemblables d'ailleurs, Ferragus accueillerait donc, et bien que le mot soit quasi inexistant dans le texte, une certaine forme de sublimité. Ce sublime n'est peut-être pas étranger au caractère extravagant et endiablé du récit car, depuis Burke, il naît souvent de la violence et des émotions fortes.
Et en effet, le roman, placé sous le signe du mystère, fonctionne sur une série de couples antagonistes –beauté et laideur, éros et thanatos, angélisme et monstruosité-, qui tous rappellent le couple horreur et plaisir, fondement du sublime tel que le définit Burke dans sa Recherche philosophique sur le Beau et le Sublime.
Ces couples suggérant tous une interrelation entre les domaines esthétique et éthique, il s'agira d'examiner comment la notion de sublime permet au foisonnement esthétique de servir le projet moral – et religieux – de Balzac. On pourra également examiner comment Balzac suit l'évolution de la perception du sublime. C'est-à-dire comment, dépassant l'influence de Burke et de son sublime sombre, il en vient à s'interroger sur le laid comme forme de sublime -thème éminemment romantique.
Dans Ferragus, le sublime porte un nom : Clémence. Car, dans ce roman, il est incarné par un personnage, une femme. Mais il ne lui est pas exclusivement réservé. Et en effet, le texte met en scène des passions violentes et criminelles qui, par leur excès, peuvent toucher au sublime, faisant ainsi glisser le texte du tragique antique au tragique chrétien : les passions s'estompent alors devant les images bibliques de la Passion et de la Transfiguration. Enfin, cette beauté sublime est concurrencée par une autre forme du sublime, la difformité, la laideur. Le sublime aurait peut-être deux faces, une blanche et une noire.
[...] L'étymologie du sublime se trouve mise en relief -c'est le cas de le dire par la topographie du décor. Même, la progression romanesque dit le passage du grotesque –représenté par le monde urbain inquiétant, au sublime –monde du silence et d'une nature préservée. Lieu de mort, la périphérie de la capitale est aussi un lieu d'apaisement. C'est l'extrême opposé de Paris : on y trouve de l'espace, de la hauteur, des éléments naturels. Mais on ne saurait se passer du mouvement parisien, de la vie exacerbée jusqu'à la mort. [...]
[...] Les vitres d'aucune église ne sont froides ; elles tremblent, elles parlent, elles versent la peur par toute la puissance des échos (p.204-205). Il est intéressant de noter que n'est pas joué un requiem, qui aurait pu prolonger l'apaisement et le silence sublime, mais au contraire un chant de colère : autrement dit, même lors de la messe funèbre, c'est la violence, la terreur qui prédomine. Le sublime religieux est avant tout un sublime de terreur, bien plus qu'un sublime de pureté. En effet, il ne s'agit pas du Dieu magnanime de l'Evangile mais du Dieu vivant et vengeur de l'Ancien Testament. [...]
[...] Puis, elle se lance dans une apologie de la charité. Cette confession est bien la preuve de la conversion de Mme Jules qui a choisi de sublimer ses pulsions mais aussi de se consacrer, telle une religieuse, à Dieu. La sainteté exige le sacrifice de soi et la fidélité à un maître unique. Cette confession procède par un retour à l'initial : il est manifesté dans le texte par l'évocation de l'enfance. La boucle est pour ainsi dire bouclée car l'héroïne revient à sa pureté originelle, mais sa chute lui a permis d'accéder à une pureté que l'on peut qualifier de sublime. [...]
[...] La douleur est aussi bien physique que morale. Et, l'un n'allant pas sans l'autre, le mal physique ne fait que refléter la torture de l'âme. Le diagnostic concernant Clémence Desmarets, communément appelée Mme Jules, est, à cet égard, très éloquent : Mme Jules est frappée à mort, répondit le médecin. Il y a une maladie morale qui a fait des progrès et qui complique sa situation physique, déjà si dangereuse (p.190). L'infléchissement du Beau en sublime est on ne peut plus net dans Ferragus : le conte de fées s'estompe au profit du romanesque, la beauté idéale laisse place à une beauté douloureuse, sublime. [...]
[...] Il est un des objets de prédilection de l'actrice, de la demi- mondaine[4]. Cette icône de la chasteté connaît l'art de la séduction, pourtant nouvel ars amandi pour elle, à la perfection. Elle va même, dans la grande scène érotique du roman, jusqu'à prendre l'initiative, à solliciter son mari, renversant ainsi les représentations traditionnelles de l'épouse: Elle lui dit alors à l'oreille en l'échauffant de son haleine, et la mordant du bout des dents : A quoi pensez-vous, monsieur ? [...]
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