Le Cid paraît au XVIIe siècle, période durant laquelle l'esthétique théâtrale est déchirée entre les exigences de la tradition classique et la verve originale du baroque. Tragi-comédie qui joue des règles classiques avec une certaine liberté, la pièce est vivement applaudie du public mais montrée du doigt par la critique. Le terme « sublime » lui est alors attribué, autant par ses défenseurs que par ses détraqueurs. Mais pourquoi accorde-t-on ce qualificatif au Cid ? Nous allons tenter de montrer que cette pièce est la scène de la vie la plus haute, la plus grande, où l'homme se dépasse dans le meilleur de lui-même, où l'esthétique du rare et de la vérité exemplaire prend forme.
[...] Les personnages du Cid portent en eux la marque du sublime. Ils sont d'abord des personnages de l'honneur. La grandeur d'âme du héros montre la vertu la plus haute. L'honneur est une notion extrêmement importante chez Corneille : elle lie le héros à sa chair, à ses ancêtres et à son père. Le héros doit restituer son sang aussi pur qu'il l'a reçu. Il ne doit pas vivre en infâme, c'est-à-dire qu'il ne doit pas avoir perdu sa fama, sa réputation. La décision de l'honneur est une décision exemplaire. [...]
[...] L'honneur place le héros dans l'estime la plus haute de sa famille. Mais plus important encore que l'honneur, c'est la gloire. Car si le héros doit son honneur à son sang, il ne doit sa gloire qu'à lui-même. Or le personnage cornélien est une âme fière qui préfère mourir que déchoir à ses propres yeux. Il y a opposition avec le héros de la tragédie antique qui veut le héros ni tout à fait bon, ni tout à fait méchant[1] Chez Corneille, le héros se démarque par sa puissance. [...]
[...] En plus de la situation conflictuelle de départ, Rodrigue va devoir supporter le mépris de Chimène, celle-ci va redouter la mort de Rodrigue dans son combat contre les Maures qui alors la laisseraient à jamais dans la honte car sa vengeance serait perdue, et d'autres événements encore qui complexifient davantage le cours des choses. Ces obstacles, les personnages doivent les intérioriser afin de s'accomplir dans l'exemplarité. Typiques de l'esthétique cornélienne, ils permettent au sublime de s'introduire. Autre terrain de jeu du sublime, l'épopée, qui prend place à quelques moments de la pièce. On peut notamment s'appuyer sur le récit de Rodrigue à son retour du combat contre les Mores. [...]
[...] En effet, Corneille veut que son théâtre soit un théâtre de l'admiration. On admire d'abord le dilemme cornélien qui déchire intérieurement les héros. S'aimer, c'est aimer ensemble la gloire. L'amour attise l'estime et l'estime exalte l'amour. La gloire, c'est l'estime de soi-même, mais l'amour, c'est l'estime de l'être aimé. On n'aime qu'un être libre, glorieux et fier. D'où l'admiration du spectateur pour Rodrigue et Chimène qui ont réussi à dépasser le dilemme, à s'aimer dans la fierté, grâce à l'action politique qui sous-tendait la trame amoureuse. [...]
[...] L'optimisme cornélien se retrouve dans cette conception du héros, dans le dénouement heureux de la pièce. L'honneur, la gloire et la liberté de Rodrigue et Chimène portent l'admiration du spectateur au plus haut point. Le sublime, c'est l'image de la vérité la plus haute qui exalte nos sentiments les plus nobles et les élève en nous. Le public vient voir des personnages qu'il veut être, qui sont des exemples. Le spectateur ne voit pas le Cid comme une vérité quelconque mais comme la meilleure vérité qui soit. Elle est un modèle. [...]
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