L'écriture de Leiris ne peut se saisir pleinement que dans la variation qu'elle entretient avec le genre autobiographique. L'exigence de vérité et la rigueur de l'écriture personnelle se modulent en effet suivant ses écrits (on songe là notamment à la plus grande souplesse de la référence à l'expérience personnelle dans « à cor et à cri », ou « le ruban au cou d'Olympia »), mais demeurent la dynamique fondatrice de l'écriture de Leiris, « un fil pour nous guider, dans le Babel de notre esprit » (« glossaire, j'y serre mes gloses »).
Dans l'âge d'homme, l'originalité de ce fil réside dans cette aspiration à une sorte de « degré zéro » de l'écriture, qui place l'œuvre aux frontières du genre autobiographique, où se lit sans cesse en creux la menace d'un franchissement (débordement vers l'anthropologie, la psychologie, l'essai…). Mais d'un point de vue génétique, l'âge d'homme apparaît selon l'auteur comme « un collage surréaliste », c'est-à-dire non seulement un emboîtement de textes hétérogènes, mais aussi l'émergence d'une cohérence discursive qui opère un travail de lien (le « collage » du texte), et facilite la lecture dans les jeux d'échos notamment.
Dès lors, pour étudier la structure narrative de l'âge d'homme, il s'agira de saisir l'esthétique d'une écriture qui se dédouble, aspirant à la fois à une non-élaboration littéraire et contrainte à la structuration classique suivant des règles fixes.
[...] III/ Une dynamique antagoniste Une dualité contagieuse Si au plan diégétique, la dualité apparaît comme un thème récurrent dans l'âge d'homme (féminin/ masculin, transparence/dissimulation, sadisme/masochisme ) on peut également trouver cette opposition au plan formel. La structure narrative apparaît en effet à la fois souple (passage du thématique au chronologique ) et rigoureusement construite (symétrie, démonstration L'écriture de Leiris procède donc à la fois de principes fragmentaires et continus. Au niveau de la présentation par exemple, on observe une forte dispersion et une rupture permanente (selon C. [...]
[...] La structure énonciative double de l'autobiographie Nous trouvons dans l'âge d'homme un aspect majeur du genre autobiographique dans la différenciation entre le plan de la mise en scène de l'acte énonciatif et celui de l'énoncé. Le texte inclut ainsi son propre commentaire, sa propre mise à distance en redoublant les niveaux d'écriture. L'activité de l'autobiographe se fait ainsi réflexive, et renvoie à la conception de Beaujour qui voit dans l'autobiographie un miroir d'encre Le problème central de l'autobiographie qui vient perturber la structure narrative se trouve en effet dans l'écart d'identité et de mode de perception entre l'adulte écrivant et l'enfant vivant et le filtre interprétatif rétrospectif qui s'impose. [...]
[...] L'écriture de l'âge d'homme À la lecture de l'œuvre, on remarque d'emblée le manque de structure globale du texte, où la narrativité se trouve circoncise à des minirécits qui apparaissent seulement comme juxtaposés, et dont certains ont une dimension d'essai ou un registre théorique. Dès lors, l'œuvre laisse apparaître une quantité d'épisodes qui semblent autonomes et fragmentaires, et ne semblent pas intégrés dans un discours continu. L'originalité de l'âge d'homme peut se trouver en effet dans la diversité des formes génériques employées. [...]
[...] C'est en effet là l'analyse de Bréchon qui voit dans l'âge d'homme la marque permanente d'une démarche déductive comme structurante de l'expérience autobiographique de Leiris. Ainsi, chaque récit n'a de valeur qu'illustrative, et l'enchaînement des parties obéit à des relations logiques, que l'on peut considérer de l'ordre de l'intellectualisme académique, voire didactique. Cet aspect se trouve souligné notamment dans l'aspiration à un classicisme formel comme idéal d'écriture, et un goût prononcé pour les règles et la codification (d'où la fascination pour la corrida). [...]
[...] Conclusion L'effort de structuration narrative à l'œuvre dans l'âge d'homme de Leiris semble aussi complexe que la personnalité dépeinte au sein de ces pages. Sans cesse empêtré dans cette logique dichotomique de l'éclatement et de la réunification, l'auteur semble en effet détruire toutes les stratégies scripturales qu'il met en place au préalable. Dans cette perspective, Leiris affirme son originalité dans cette écriture de la retouche, qui le rapproche là de son goût pour l'univers pictural (notamment dans la référence permanente au tableau de Cranach). [...]
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