Lorsqu'un homme croit fermement en un modèle, il est enclin à le chercher partout, et à le trouver partout. A l'époque où nous vivons, et où les frontières entre les choses sont de moins en moins claires et visibles, cela est possible. Comment différencier la prose de la poésie, l'art de la science ? Ce n'est pas toujours évident. Il arrive parfois que les notions comme "rapport" et "proportion", qui semblent être liées surtout à la géométrie, puissent définir également la peinture, et même la littérature.
Voilà comment, par exemple, Paul Claudel voit l'art d'un peintre cubiste: "Rien n'existe que par rapport à autrui et à autre chose. C'est pourquoi la beauté naît du rapport et de la proportion".
[...] Les méchants et les bouffons sont utiles puisque Dieu les a créés ; ce qui n'empêche pas Don Pélage, lui qui est pourtant un des sages de la pièce, d'affirmer: "J'ai appris tout de suite que le plus grand acte de charité qu'on puisse faire, c'est tuer les êtres malfaisants" (Première Journée, scène 4). Voilà un premier écart, et déformation des proportions. D'ailleurs, les proportions dans la pièce sont bien disproportionnées. Sept-Epées parle de douze hommes qui ont pris le château-fort défendu par trois mille; discours bien mégalomanes. Combien de personnages ont-ils des aspects de conquérants? [...]
[...] L'amour devient un autre moyen de supplice à travers la séparation. La liaison de Rodrigue et de Prouhèze est bâtie d'une longue série de séparations : séparation en Espagne, en Amérique, en Afrique jusqu'à la séparation finale. L'œuvre de Claudel est une célébration de la séparation écrit M. Aubert, et non seulement sa célébration mais aussi sa justification, son apologétique, sa théologie Et la tendresse, l'amour refoulés se transforment en violence, en intolérance, en mégalomanie. Sept-Epées, mon enfant, dit Rodrigue dans la scène 11 de la dernière journée, va combattre pour Jésus-Christ, mon agneau Là, on ne sait vraiment plus s'il faut rire ou pleurer ! [...]
[...] Taper contre les Turcs, contre Mahomet, contre les Anglais, ne faire que taper contre le monde entier, et cela au nom de Dieu et de la religion, et cela en versets poétiques ! Cela a déjà été, en Espagne toujours. Cela a été au temps de l'Inquisition Mais cette dernière, au moins, n'est pas allée jusqu'à soumettre les belles lettres à son profit, jusqu'à assujettir la Poésie à ses machinations misanthropes ! La beauté peut naître ou mourir du rapport et de la proportion. Tout dépend des rapports et des proportions. [...]
[...] Il refuse toute logique temporelle ou spatiale; ou plutôt, il adopte la logique réelle des événements. Dans la vie, le temps passe pour chacun en même temps; il en est ainsi de ses personnages. Il a "le goût des choses qui fonctionnent ensemble", et pour une raison : car ainsi fait Dieu! "Pour la structure interne de son œuvre, Claudel dramaturge est pourvu d'un solide garant : rien moins que le modèle divin", écrit Lesort dans une étude consacrée à Paul Claudel. [...]
[...] Lorsqu'on affirme que tout concerne autre chose, cela est valable pour la structure de l'œuvre elle-même aussi bien que pour les relations entre les personnages. Le Soulier de satin est une pièce de théâtre capable à la fois d'émerveiller et de déconcerter tout metteur en scène. L'émerveiller par son originalité, car il n'aura rien vu de pareil ni de si audacieux : une scène qui est le monde, des statues qui bougent, la lune qui monologue pendant trois quarts d'heure, une ombre, double en plus ! [...]
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