Le problème de l'obscurité ne date pas de Mallarmé. Il n'y a en effet pas de poésie sans un mode particulier de langage et d'entente, et sans la conscience de cette particularité. Mallarmé, comme d'autres avant lui, a exploité cette distance entre prose et poésie pour n'être compris que d'un petit nombre.
Les romantiques se targuaient d'avoir mis la langue poétique à la portée d'un public plus vaste en la débarrassant des périphrases de style néoclassique. Aux outils littéraires rhétoriques, les romantiques voulaient substituer des métaphores librement créées, rapprochant de façon inédite deux pôles distincts dans la conscience des lecteurs. Les expérimentations romantiques ont ainsi pu déstabiliser un bon nombre de critiques qui n'avaient finalement pas tort quand ils reprochaient aux nouveaux poètes leur distance vis-à-vis du sens commun : la poésie romantique s'était considérablement éloignée de la prose.
[...] De surcroît, Mallarmé n'a pas fait uniquement vœux de ne s'adresser qu'à une élite et à éloigner sa poésie du vulgaire. Il faut au contraire comprendre sa poésie comme une énigme, porteuse d'un sens, quoique caché, qui est faite pour être déchiffrée. Dès lors, l'obscurité permet de donner au texte son caractère purement littéraire en évitant la tentation d'une communication directe avec autrui, d'avance suspecte de fausses ententes. Dans le dévoilement du sens à partir de l'obscur s'opère alors une sorte de réconciliation du Poète misanthrope avec Autrui. [...]
[...] La part de la foule ? Mallarmé a souvent dénié toute obscurité à sa poésie, la prétendant claire et intelligible à tous. Dans une page célèbre du Mystère dans les lettres, il a mis en avant deux types de signaux distincts dans l'écriture poétique : ceux qui constituent le trésor ou second objet des mots, inaccessibles au profane, et ceux qui forment l'objet indifférent, émanant de l'acception ordinaire des mots et destinée aux profanes à qui le poète reconnaît qu'il emprunte le langage. [...]
[...] Le pouvoir du vers Selon Mallarmé, le vers fond les mots en un mot global, jamais ouï qui substitue à la prose et à ses significations une incantation, c'est-à-dire un discours dont l'effet dépasse le sens. Ce pouvoir est celui du Beau : on n'attend pas de la beauté qu'elle éclaire ses secrets car son mystère même est lumière, en ce qu'il est porteur d'une joie née de la remémoration d'un réel dignifié, baignant dans une neuve atmosphère Ainsi, le verbe humain, séparé de Dieu, opère à sa façon une recréation ou signification des choses ; la poésie a la fonction philosophique et non surnaturelle, d'exercer une fonction que les religions prêtent au Créateur. [...]
[...] Ainsi, plaider la cause de la Poésie est encore pour les nouveaux romantiques en appeler à l'Humanité et à Dieu, où sont encloses la vérité du monde et la justice des hommes. De Baudelaire à Mallarmé Ni Baudelaire ni les Parnassiens ne prêchaient ni ne magnifiaient le silence comme mode effectif de communication. Ils avaient riposté à l'épanchement romantique par une interdiction de s'épancher, sauf dans l'amertume et dans la hauteur. Mais Mallarmé va aller plus loin qu'eux en mettant en doute la possibilité d'une communication réelle avec autrui. [...]
[...] Les grammairiens ont ainsi un rôle non négligeable dans la lecture du poème. Mallarme et le néant Mallarmé a souvent justifié ; le discours trop clair non seulement simule une entente avec le lecteur qui ne peut jamais exister mais aussi affecte d'oublier l'ombre qui nous dérobe chaque objet. L'univers mallarméen est en fait celui d'un désenchantement aigu : à 24 ans (1866), Mallarmé a dit avoir rencontré le Néant ; et après maintes luttes, il a finalement assumé un athéisme total, ce qui était fort rare chez les Parnassiens. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture