« C'est vraiment un des secrets du roman français que de savoir manifester en même temps un sens harmonieux de la fatalité et un art tout entier sorti de la liberté individuelle – de figurer enfin le terrain idéal où les forces de la destinée se heurtent à la décision humaine. Cet art est une revanche, une façon de surmonter un sort difficile en lui imposant une forme. On y apprend la mathématique du destin, c'est une manière de s'en délivrer. » A. Camus, « L'intelligence et l'échafaud », in « Problèmes du roman », recueil collectif publié par la revue Confluences.
Le roman est un genre spécifique autant qu'insaisissable, et cette seconde caractéristique forge même sa spécificité. En effet, le genre n'ayant jamais été, jusqu'aux rares tentatives modernes, codifié, il est depuis son apparition aux douzième et treizième siècles, le terrain d'expérimentations de formes, matériaux et objets les plus variés. Cependant, différentes périodes et mouvements traversent et marquent l'histoire du roman, et possèdent à de nombreux égards des caractères qui leur sont propres.
Ainsi, pour Albert Camus, « c'est (…) un des secrets du roman français que de savoir manifester en même temps un sens harmonieux de la fatalité et un art tout entier sorti de la liberté individuelle. » De plus, le roman institue une relation profonde entre lecteur et auteur, et a des effets sur le lecteur ; et Camus d'ajouter : « Cet art est une revanche (…). On y apprend la mathématique du destin, c'est une manière de s'en délivrer. »
Dans cet extrait de Problèmes du roman, Camus propose sa vision de la spécificité et de la grandeur du roman français, ainsi que de ses conséquences sur le lecteur, la littérature, la vie. Il convient donc de se demander quelle est précisément cette vision, à quoi elle se rapporte et quelles en sont ses implications, mais aussi dans quelle mesure elle peut être remise en question. En premier lieu, nous nous interrogerons sur la coexistence de la fatalité et de la liberté dans le roman français. Puis, nous étudierons en quoi ceci peut être une « revanche », une « manière de se délivrer » du destin. Enfin, nous analyserons le caractère novateur et spécifique de cet état de fait, rendu possible par le genre « roman » et apparu en France qui pourrait justifier la conception de Camus.
[...] Mais la réalité mise en évidence par Camus dans Problèmes du roman est également liée à des spécificités françaises. En effet, si la coexistence de deux entités opposées semble faire la grandeur du roman français, certaines comparaisons sont à rechercher dans les rapports de la France avec l'écriture et la littérature, et dans la peinture d'une société spécifique. En effet, il apparaît que les romans dans lesquels cette coexistence est fortement marquée, comme Clélie de Mademoiselle de Scudéry ou La Princesse de Clèves sont liés à un contexte de préciosité. [...]
[...] Le mot roman étant de nos jours dénué de connotations de réalisme ou non, ce mensonge n'y a pas sa place. De plus, le roman permet le déroulement d'un récit, d'une narration, du suivi d'un personnage sur un nombre de pages illimité, une durée dans le récit pouvant être aussi longue qu'une vie humaine et une vitesse, selon le concept de Michel Raimond, assez lente, comme pour Madame Bovary de Flaubert où le récit englobe toute la vie de Charles et d'Emma, ou presque sans pour autant passer sous silence des pans entiers de vie. [...]
[...] Ainsi, pour Albert Camus, c'est ( ) un des secrets du roman français que de savoir manifester en même temps un sens harmonieux de la fatalité et un art tout entier sorti de la liberté individuelle. De plus, le roman institue une relation profonde entre lecteur et auteur, et a des effets sur le lecteur ; et Camus d'ajouter : Cet art est une revanche ( On y apprend la mathématique du destin, c'est une manière de s'en délivrer. Dans cet extrait de Problèmes du roman, Camus propose sa vision de la spécificité et de la grandeur du roman français, ainsi que de ses conséquences sur le lecteur, la littérature, la vie. [...]
[...] En effet, un ouvrage tel que Manon Lescaut de l'abbé Prévost permet au lecteur attentif d'analyser le déroulement des événements et de comprendre non pas les origines mais ce qui déclenche tel ou tel coup du sort On peut donc y apprendre la mécanique du destin et si Renoncour ne se prononce pas sur l'histoire de Des Grieux à la fin du récit de ce dernier, il laisse cependant au lecteur tout le loisir de le faire, d'analyser, de comprendre, de voir éventuellement en certains points du roman une définition en creux de l'attitude à avoir, la décision à prendre pour éviter les effets néfastes de la fatalité. Il en est de même, d'une certaine manière mais dans une moindre mesure pour les romans pastoraux comme l'Astrée d'Honoré d'Urfé. Mais faire coexister d'une manière cohérente et agréable fatalité et liberté individuelle constitue aussi une délivrance de la fatalité pour l'auteur, du moins pour les romanciers français du seizième au dix-huitième. [...]
[...] En effet, du roman d'aventures au roman réaliste, et de Chrétien de Troyes à Michel Butor, le roman constitue, selon le mot de Michel Raimond dans Le roman un foisonnement épars et est un parvenu id est un élément qui, bien que méprisé et critiqué est parvenu à s'imposer comme un genre majeur sinon comme le genre majeur de la littérature, notamment en France. Camus évoque un sens harmonieux et un art et ces qualificatifs des deux entités coexistant dans le roman français ne sont pas anodins. En effet, la fatalité dominant et écrasant l'être humain s'est souvent manifestée de manière brutale dans la littérature, et notamment dans le théâtre grec antique, dont l'exemple le plus frappant est Œdipe de Sophocle. [...]
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