L'idée qu'une seule connaissance exacte, adéquate et appropriée, diffusée équitablement par un sage bienveillant parmi tous les acteurs sociaux conduirait à elle seule et à coup sûr à une meilleure intelligence collective, donc à un "débat démocratique" plus légitime et plus productif, en même temps qu'à une production, une allocation et une gestion plus rationnelles des ressources publiques, donc à une "solution satisfaisante", ne peut plus être soutenue.
[...] Rien de ce qui a été dit ne doit être interprété comme un argument pour la mise au rebut du savoir accumulé par les appareils administratifs français et des méthodes utilisées pour le produire (inspections, contrôles, audits, enquêtes, concertation parfois recherches contractuelles réutilisées ou non sans oublier le savoir produit par les commissions de modernisation qui les déborde). En outre, les méthodes de la connaissance administrative sont parfaitement utilisables par la démarche évaluative à condition que l'originalité de celle-ci soit reconnue. Connaissance par qui et pourquoi? [...]
[...] L'expérimentation sociale tend à devenir la nouvelle potion magique : encore faut-il ne pas croire qu'elle fonctionne parce qu'on dit qu'elle fonctionne et qu'on l'a consigné dans un texte programmatique ou dans un brillant exposé des motifs. La magie du langage et de ce que Tocqueville appelait l'esprit littéraire en politique qui donne la priorité à ce qui est ingénieux et neuf sur ce qui est vrai n'est pas l'apanage des seuls «littéraires», ainsi nommés par ceux qui se croient immunisés par le bouclier de leur langage technique qu'il soit juridique, économétrique ou autre. [...]
[...] Des intérêts multiples et changeants introduisent sans préavis de nouveaux standards d'action : de ceux-ci le décideur politique a une connaissance bien meilleure et plus performante que les spécialistes de la connaissance alors que les spécialistes sont supposés bien mieux maîtriser le problème spécifique qu'ils ont instruit par différentes méthodes. Banale division du travail entre experts et politiques Certes, mais l'expert a aussi pour tâche d'attirer l'attention du politique : or cette opération est malaisée car le décideur ne sera ému (mis en mouvement) que s'il ressent le besoin d'apprendre quelque chose qu'il ne connaît pas déjà, et la caractéristique du pouvoir est précisément d'être la capacité de parler au lieu d'écouter, la capacité de se permettre de ne pas apprendre De ce fait, en temps normal c'est-à-dire quand les problèmes ne créent pas de malaise ou d'insatisfaction visibles et peuvent être traités de façon routinière le décideur peut se permettre d'ignorer les programmes d'action publique et leurs effets; la fenêtre d'opportunité par laquelle l'amélioration ou l'adoption d'un programme pourraient passer ne s'ouvre pas facilement pour une raison qu'Herbert Simon a parfaitement éclairée : Dans un monde où l'attention est une ressource majeure des plus rares, l'information peut être un luxe coûteux car elle peut détourner notre attention de ce qui est important vers ce qui ne l'est pas. [...]
[...] Même quand elle n'est pas commandée ou commanditée par les acteurs d'une politique publique (cas des organes d'évaluation permanents et autonomes dotés d'un pouvoir discrétionnaire d'auto-saisine ou chargés d'opérer mécaniquement des évaluations périodiques), il appartient toujours à ces derniers d'en tirer des conséquences et d'utiliser le «jugement évaluatif dans leurs jugements décisionnels consistant à prendre ou à proposer (sous forme d'avis du Conseil économique par exemple) des mesures. Ces jugements peuvent ne pas être toujours portés par le décideur politique au sens proposé supra I (note par exemple quand une évaluation entraîne par son déroulement même des ajustements dans les comportements n'impliquant pas de mesures impératives prises par les autorités compétentes. Quand il est pleinement politique, le jugement décisionnel a un aspect d'énonciation polémique quel est le mal? [...]
[...] La société concrète devient un ensemble de questions par exemple, les questions sociales ou un ensemble de secteurs ou d'objets de politiques économiques, sociales, urbaines, judiciaires; du coup l'État sort de la société vers laquelle il entreprend de jeter des ponts d'autant plus fragiles que nombre d'agents sociaux (syndicaux, corporatifs, médiatiques) se sont très bien accommodés de cette situation : on bénéficie de la sollicitude publique tout en gardant la liberté d'incriminer l'État (ou tel appareil, voire tel acteur) de l'extérieur. Des connaissances dénonciatrices échangent et croisent leurs incriminations par dessus le fossé, imaginaire logiquement mais bien réel socialement, qui sépare la connaissance par l'État de ses cibles et celle de l'État par ses cibles. La responsabilité éminente de L'Etat dans le découpage pratique des questions susceptibles d'action n'est pas étayée compromise par ce découpage (et ce découplage) cognitifs. [...]
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