Dans l'Entretien n°21 Jean Amrouche demande à Jean Giono quel est le thème de ce livre. Il est clair que Giono laisse ici une œuvre difficile, dans laquelle la structure narrative et l'intrigue sont complexes. Mais l'art de l'écrivain a permis de poser les jalons qui laissent au lecteur le soin de reconstituer l'unité de sens de l'œuvre. Ainsi, Un Roi sans divertissement est en vérité une œuvre très construite, basée sur de grands thèmes : quels sont-ils ? C'est au lecteur de retrouver ce que Jean Giono veut bien laisser voir, et qui permet des lectures multiples.
Un Roi sans divertissement c'est d'abord l'histoire du policier Langlois, qui au fil des pages se découvre un penchant pour le sang et se tue. C'est donc une histoire bien singulière, étrange, que nous relate cette chronique. Comparable à un fait divers relaté par un narrateur externe, elle laisse entrevoir une psychologie confuse et compliquée, celle de Langlois. Le lecteur ne peut la saisir que grâce à ce que Giono en laisse voir, et ce que « les vieillards qui savaient vieillir » ou encore le personnage de Saucisse en disent. Langlois apparaît tantôt sympathique, tantôt fermé ; tantôt respectueux, tantôt insultant, si bien que le lecteur au final ne peut pas avoir saisi tout ce qu'il faudrait et que ce suicide arrive de façon un peu brusque. De même l'enchevêtrement des trois histoires (celle de M.V., du loup et de Langlois), apparemment sans lien entre elles, laisse le lecteur perplexe.
La référence évidente à Pascal aidant (« Un roi sans divertissement est un homme plein de misère » Les Pensées), le lecteur peut voir dans un Roi sans divertissement une sorte de conte philosophique. La première interprétation que l'on aurait tendance à donner serait donc pascalienne : le divertissement par le meurtre est « monstrueux ». C'est ce que laisse entendre le curé du village, qui tout en astiquant les gouttes de sang sur la croix accuse le meurtrier. Toutefois, là encore, certains éléments empêchent le lecteur d'adhérer à cette vision de M.V. : ainsi les réparties de Langlois qui fait de cette enquête une affaire personnelle, et qui s'obstine à ne rien expliquer. Le lecteur se rend alors compte que l'important n'est pas l'intrigue (l'enquête aboutit en effet à un non- lieu et enchaîne sur une battue au loup) mais que quelque chose de plus profond est dit ici : la structure lacunaire, les ellipses et les nombreux non-dits (échanges muets entre M.V. et Langlois, ou entre Langlois et le loup, « encaisseur de mort subite »)…tous ces éléments laissent entrevoir un sens tout autre de l'œuvre.
[...] Giono annonce donc dès le début un renversement, une intrigue étonnante. Dans toute l'œuvre, les formes ont une signification. En effet, elles réapparaissent comme des motifs sources de beauté ou tempérant l'atmosphère inquiétante. Outre le but de la description des lieux, ces formes et ces couleurs donnent l'explication des meurtres : le motif est donc esthétique. Elles sont donc une clef pour la lecture, car porteuse de sens. Elles permettent également à l'écrivain de démontrer son talent en tant que peintre. [...]
[...] Si le hêtre est une forme d'ouverture du récit, il représente donc aussi la fin, le tombeau. Giono emploie aussi dans le récit diverses formes que l'on pourrait qualifier de sinueuses : ainsi le labyrinthe de Langlois, ou encore ces petites routes de campagne caractéristiques du roman, suivis des yeux pas les villageois : ils s'attendent à voir apparaître l'homme quelque part et lui se joue d'eux en apparaissant à l'opposé. Giono agit de même : il y a chez lui une volonté nette de cacher le mécanisme de son récit, de perdre son lecteur. [...]
[...] Ainsi que comprendre par ces initiales M.V. qui représente un personnage du roman ? Moi/ Vous ? Monsieur le Voisin ? Frédéric II lui reconnaît d'ailleurs un air familier, il a une maison, une femme, un enfant De même, Langlois confie à Saucisse qu'il n'y a pas d'étranger : tous les hommes peuvent trouver dans le meurtre un divertissement. Cette idée illustre bien la Deuxième Manière de Giono : tous les hommes ont en eux ce désir de sang, cette cruauté : l'homme est un loup pour l'homme C'est donc le récit des turpitudes des hommes que nous fait l'auteur. [...]
[...] Ainsi, chaque personnage trouve un plaisir soit à fumer la pipe sur un tas de fumier, à broder, à s'occuper de sa toilette, à fabriquer des horloges, à organiser des fêtes ou à tuer. A cette seule différence que tuer est le divertissement suprême des rois. Saucisse seule a su y trouver un dérivatif : la Vie, car elle a tout vu, a résisté au temps et reste gourmande de vie. Un Roi sans divertissement c'est l'histoire de Monsieur tout le monde. [...]
[...] Ces gouttes de sang introduisent la notion de cruauté dans l'œuvre, de façon plus ou moins marquée. Déjà dans la description de l'automne faite par Giono, on retrouve le rouge des feuilles des arbres, qui seront eux- mêmes plus tard comparés à des bouchers. Le rouge contraste avec le blanc de la neige, ce qui est en effet très beau et rappelle la méditation de Perceval dans l'œuvre de Chrétien de Troyes. Le rouge comme fascination, et donc ici source de divertissement unique, contraste avec les notes sombres de l'œuvre. [...]
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