Le romantisme et l'humanité comme appartenance à la naturalisation
L'auteur poursuit sa réflexion en montrant comment la pensée romantique partant d'une critique de l'humanisme abstrait, celui auquel la modernité a donné comme fondement la compréhension de l'homme comme sujet, en vient à concevoir l'humanité comme un enracinement de l'homme dans une culture particulière. Le proprement humain advient, selon le paradoxe romantique, quand l'être humain se rend fidèle à la tradition dont il est issu, en assumant son inscription au sein d'une humanité particulière. En remettant ainsi en cause les assises de la pensée moderne, le romantisme propose une nouvelle manière de penser le sensible comme pénétré d'intelligibilité, mis en forme et en sens par une tradition, une culture, et entraîne un renouvellement du sens dans tous les registres de l'existence humaine : religion, art, politique, éducation, droit. Si le romantisme exalte le Moi et l'intériorité, la subjectivité romantique n'est jamais un fondement mais toujours seconde par rapport à un esprit qui la transcende. Le Moi romantique est irréductible à une individualité au sens d'un sujet, ce qu'illustre la compréhension romantique de l'artiste comme génie créateur (conception de l'artiste comme «médiateur» chez Novalis et Schlegel). Le romantisme suggère dans cette perspective que l'homme est d'autant plus original qu'il se déprend de toute illusion subjectiviste.
La mise en question romantique de l'humanisme abstrait repose sur un accord fondamental avec les Lumières : l'homme n'est rien par nature et il n'accède à l'humanité que par un arrachement à la nature qui n'est pas destiné à le conduire vers un modèle universel. Mais la critique romantique repose sur une compréhension de l'homme diamétralement opposée à celle des Lumières. Pour le romantisme, en concevant l'arrachement comme le fait d'une faculté humaine (la raison, la perfectibilité) les Lumières retombent dans le naturalisme. La compréhension dualiste du monde à laquelle conduit le subjectivisme moderne entraine une vision purement technique et mécanique : une représentation de toutes les choses et de toutes les pratiques comme moyens est indissociable d'une représentation de l'homme comme sujet autonome. (...)
[...] Pour Husserl, l'être humain est originellement absorbé par des choses familières, mais il est aussi apte à rompre les liens de familiarité qui l'unissent aux choses et à s'arracher à la naturalisation. Si Husserl conçoit l'homme comme inscrit de part en part au sein du monde et ne pouvant s'en détacher à la manière d'un esprit absolu ou d'un cogito, il reste cependant prisonnier du préjugé cartésien, ce qui le conduit à préférer l'arrachement au monde à son appartenance en reniant l'idée d'une originelle inscription au sein du monde. [...]
[...] Analyse Robert Legros retrace dans l'idée d'humanité l'évolution d'un concept, celui d'humanité, à travers différents courants de pensée (Lumières, romantisme) et auteurs (Tocqueville, Husserl, Heidegger, Arendt) ; il démontre de façon assez convaincante comment cette évolution prend toujours appui sur les acquis propres des pensées subjectiviste et romantique pour tenter d'en dépasser les contradictions. La démonstration procède à l'analyse objective des pensées convoquées par l'auteur ; à aucun moment il ne fournit les éléments d'une thèse propre, ni même d'une analyse plus personnelle de l'idée d'humanité. L'ouvrage s'achève ainsi un peu sèchement sur l'exposé de la philosophie d'Hanna Arendt. Cette dimension plus historique et pédagogique que critique de l'ouvrage explique très certainement qu'il n'ait, semble-t-il, pas suscité de commentaires ou réactions particuliers. [...]
[...] Robert Legros expose enfin la pensée d'Hanna Arendt pour qui ce sont ensemble l'arrachement au processus vital et l'appartenance au monde qui sont constitutifs de l'humanité de l'homme. Pour l'auteur, deux arguments sont à la base de la philosophie d'Hanna Arendt : le premier se développant conformément à la pensée des Lumières reconnaît à l'être humain la faculté d'agir, de penser, de juger par lui-même et ainsi de s'arracher à l'emprise de la naturalisation. Le second s'appuyant sur une critique du monde moderne emprunte à la pensée romantique les thèmes constitutifs de sa critique du subjectivisme, pour soutenir que l'affirmation des pouvoirs de l'homme (pouvoir de dominer la nature, de reconstruire le monde conformément à une idée d'autonomie) conduit à une déshumanisation. [...]
[...] Récusant le dualisme du sensible et du non-sensible, le romantisme invite à une nouvelle perception des choses. Deuxième partie L 'homme comme arrachement et comme appartenance à un monde Tocqueville : le retrait comme repli et comme ouverture L'auteur expose comment Tocqueville {De la démocratie en Amérique, tome partant d'une critique du cartésianisme qu'il juge être devenu le principe d'une mentalité, parvient à surmonter le paradoxe de la pensée romantique en concevant ensemble la naturalisation et l'arrachement comme constitutifs de l'humanité. [...]
[...] Le romantisme renverse la pensée des Lumières en pensant la naturalisation comme originelle, comme constitutive de l'humanité de l'homme. Toutes les caractéristiques que les hommes ont en commun (parler, fabriquer, agir, penser, habiter etc.) sont vides en tant qu'elles sont communes et n'acquièrent un contenu qu'en se particularisant. C'est l'universalité humaine qui advient en chaque humanité particulière alors même qu 'elle est vide en tant qu 'universalité abstraite Le romantisme invite à concevoir que l'humanité réside à la fois dans le corporel et le non-corporel en ce sens que la sensibilité humaine n'est pas simplement sensible mais en elle-même déjà spirituelle comme engendrée par une tradition et une manière particulière de coexister. [...]
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