Que pressent-on dans ce roman ? C'est la guerre qui s'annonce, alors même que rien ne laisse deviner sa venue, si ce n'est ce fameux pressentiment. Afin de mieux cerner en quoi le pressentiment est à ce point le centre et le sujet du roman, nous décrirons d'abord ses manifestations immédiates, puis nous le considèrerons comme imagination créatrice. Enfin, nous verrons que le pressentiment redéfinit la fiction
[...] Car enfin, qui y il de plus terrible que de vivre sa mort ! Plutôt mourir vraiment que de vivre sans vie. Orsenna et les Syrtes on des allures d'enfer, d'éternité, sans mouvement, immobile. Les prisonniers de ce purgatoire s'échappent ne rêvant, en pressentant les temps nouveaux. Parmi les outils servant à l'élaboration de ce plan de fuite le regard joue un rôle très prononcé. Le chapitre La chambre des cartes en est très révélateur. Aldo passe beaucoup de temps à consulter les cartes à l'amirauté. [...]
[...] Tout, donc, dort dans les Syrtes. La nation même d'Orsenna est, nous dit-on, dans sa vieillesse Un sommeil de mort règne partout. Aldo manque d'air il étouffe cependant non pas par manque d'air, au sens commun du terme, il est asphyxié par manque de vie. Le pressentiment est trop teinté de volonté pour être tout à fait honnête! Les personnages veulent vivre, ils veulent que quelque chose se produise. C'est l'élan de vie qui fabrique le pressentiment. Il est le seul moyen pour les personnages de rendre au monde son sens perdu (Murat). [...]
[...] Le pressentiment se manifeste aussi au niveau du groupe. En effet, on parle ; et ce on est très significatif Belsenza, lui aussi en fonction pour Orsenna dit d'ailleurs On dit beaucoup de choses à Maremma . Ce on représente cette foule considérable et sans identité déterminée. Cette perception de groupe n'est pourtant pas plus rationnelle, le nombre ici ne garantit nullement la rationalité du propos. On apprend que cette rumeur populaire d'un changement est largement nourrie par les prédictions de prophètes et autres vaticinateurs qui ajoutent au caractère quasi ésotérique du pressentiment. [...]
[...] Prenant le contre-pied de la narration habituelle, Gracq nous livre ce qui pourrait être l'introduction d'un roman historique ou d'apprentissage Mais rien ne suit cette introduction. L'auteur focalise entièrement son récit sur cet avant à la fois immatériel pendant ce que Murat considère comme la première partie du roman jusqu'au trois coups de canon au large de Raghes, et plus tangible par la suite. Dès le début du récit, on comprend que seul ce prae sentus fera avancer l'action. Aldo raconte donc ce qui c'est passé. Ce récit rétrospectif n'est pas un choix anodin. [...]
[...] C'est en premier lieu l'occasion idéale d'analyser les faits. Car le Rivage des Syrtes est de toute évidence une analyse du mécanisme du pressentiment bien plus que le récit d'une guerre longtemps éteinte qui se ranime. C'est ce procédé incroyable et improbable qui malgré tout parvient à provoquer l'action qui est le vrai sujet de ce roman. Le pressentiment est disséqué par Gracq qui en étudie toutes les ramifications, ses motivations, sa mécanique intime. La fiche signalétique du pressentiment est complète, on sait d'où il vient ( du désir de vie), et ce vers quoi il tend. [...]
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