« Seul de tous les êtres vivants, l'homme sait rire ». Cette affirmation d'Aristote a traversé les siècles et semble constituer le fondement de l'œuvre de François Rableais qui la reprend dans la célèbre formule « Pource que le rire est le propre de l'homme », apparaissant dans Gargantua en 1534.
Cette œuvre en particulier semble donc consacrer la toute-puissance du rire et des plaisirs, ce que le critique littéraire Géralde Nakam traduit ainsi dans son article « Rire, angoisse, illusion », extrait de la revue Europe en 1992 : « Le manger trompe l'angoisse – du corps, du sexe, de l'Histoire, de la mort. Le vin fait rêver ; mais le rêve est encore plus délicieux que le vin. Les terreurs se transfigurent en jeu et en rire : ce n'est qu'une illusion de l'art, dont le poète nous avertit par loyales énigmes. Son génie est fait de courage, comme son éthique. « L'éclat de rire énorme » de Rabelais retentit sur un « gouffre » de terreurs ». Nakam évoque donc bien ici le rôle prédominant du rire et des plaisirs matériels dans l'œuvre de Rableais, à la fois comme thérapie contre les terreurs et les angoisses humaines, mais aussi comme tromperie et illusion du monde réel. Cette affirmation peut s'appliquer en particulier au roman Gargantua, un des plus célèbres et des plus représentatifs, avec Pantagruel, de la littérature rabelaisienne.
Il convient alors de s'interroger sur ce rôle du rire, et sur l'organisation du texte de Rabelais : peut-on réellement affirmer que son œuvre n'est que tromperie, jeu, et « rire énorme » ?
[...] Ainsi, l'ambiguïté délibérée de Rabelais, considéré comme un grand illusionniste du verbe (Francois Rigolot), rend complexe le message qu'il veut faire passer dans Gargantua. La simple fiction semble claire et sans équivoque, fondée sur la veine gigantale, le registre paillard et carnavalesque, mais les problèmes soulevés par le texte résident dans cette ambiguïté du langage qui conduit les lecteurs avisés à opter pour une lecture plurielle de l'œuvre, dépassant à la fois son aspect carnavalesque et trompeur conduisant au rire gras et une possible interprétation à plus haut sens L'étude précise du prologue de Gargantua permet ainsi d'observer que Rabelais lui donne une véritable dimension programmatique. [...]
[...] contribue à faire de Gargantua une œuvre incontestablement plurielle. Nous pouvons également prendre l'exemple des guerres picrocholines qui font ainsi alterner sans logique apparente des épisodes réalistes, d'autres où réapparaît la veine gigantale et carnavalesque, et enfin des passages sérieux comme celui consacré au modèle du bon souverain humaniste reconnu en Grandgousier pour sa générosité envers ses soldats à la fin de la guerre. L'inventivité verbale de l'auteur et l'ivresse lexicographique qui résultent de cette dualité, voire de ce mélange à première vue inextricable de genres et de registres, permettent donc bien de montrer que Gargantua est à considérer comme une œuvre complexe, une œuvre de tensions perpétuelles entre fiction et réalité, et non comme simple lieu de tromperies et d'illusions. [...]
[...] L'interprétation du point de vue de Rabelais dans Gargantua est donc très controversée, l'auteur jouant sans cesse avec les ruses du langage et de la moquerie. Finalement, ne pourrait-on pas accepter ces deux possibilités d'interprétations, dans la mesure où Rabelais semble vouloir systématiquement privilégier l'incertitude et décourager toute lecture dogmatique de son texte, fût-elle humaniste ? Mais nous nous devons de constater que le génie de Rabelais réside également dans la dualité de l'œuvre, entre culture populaire et érudition. On peut en effet remarquer que le goût de Rabelais pour les références livresques, manifestant d'une volonté de garantie d'authenticité du récit auprès du lecteur côtoie des passages à dominante grossière et paillarde ; de même que le mélange de tous les genres et registre, de tous les types de langues (latin, grec, termes de patois) et de vocabulaires, comme le vocabulaire médical, philosophique, juridique, etc. [...]
[...] La tromperie de Rabelais est donc plutôt à envisager comme une tromperie énigmatique qui laisse au lecteur certes troublé toute liberté de compréhension (ou non) de l'œuvre. Montaigne écrivait ainsi dans les Caractères au sujet de l'œuvre de Rabelais : son livre est une énigme, quoiqu'on veuille en dire, inexplicable Sur cette notion d'énigme, nous pouvons voir que la complexité du texte se manifeste justement en particulier à travers les énigmes, difficilement compréhensibles, que l'auteur insère à plusieurs reprises dans le récit, comme au début de l'œuvre, au chapitre II avec l'énigme des Fanfreluches antidotées et à la fin avec celle trouvée dans les fondations de l'abbaye de Thélème. [...]
[...] Cette œuvre en particulier semble donc consacrer la toute-puissance du rire et des plaisirs, ce que le critique littéraire Géralde Nakam traduit ainsi dans son article Rire, angoisse, illusion extrait de la revue Europe en 1992 : Le manger trompe l'angoisse du corps, du sexe, de l'Histoire, de la mort. Le vin fait rêver ; mais le rêve est encore plus délicieux que le vin. Les terreurs se transfigurent en jeu et en rire : ce n'est qu'une illusion de l'art, dont le poète nous avertit par loyales énigmes. Son génie est fait de courage, comme son éthique. [...]
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