Interrogé sur ses romans français préférés, Gide révèle l'attrait qu'exerce sur lui La Chartreuse de Parme : cette oeuvre s'offre toujours à lui, à chaque lecteur, sous un jour différent à tel point qu'il a l'impression de découvrir un nouveau livre... Si cet ouvrage de Stendhal permet à un lecteur unique une pluralité d'approches, c'est à fortiori le cas entre plusieurs lecteurs : de fait, La Chartreuse de Parme a suscité des critiques multiples, enthousiastes ou âpres. Ainsi, interrogeant l'intérêt du roman, Pierre-Louis Rey, dans son ouvrage critique Stendhal, La Chartreuse de Parme, l'analyse de la façon suivante : "Par son intruse comme par son écriture, La Chartreuse de Parme est le roman du risque fou, prouvant l'inanité du réel et la réalité de l'imaginaire (...)
[...] Finalement, l'intérêt de cette œuvre résiderait peut- être ainsi, justement, dans cet entrelacement, cette tension de l'imaginaire et du réel qui parvient à atteindre, d'un certain point de vue, un sens, voire une essence du roman lui-même en tant que fiction et une essence de la perception du réel, si l'on ose dire, le tout sur un ton enjoué, de façon ludique, sans rien qui pèse ou qui pose. L'essentiel pourrait alors être, pour l'écrivain comme pour le lieutenant Robert du roman, de ne pas avoir peur de sa propre histoire. [...]
[...] dans La Chartreuse, le souci tombe des épaules (Gracq), on pénétré dans un univers autonome, obéissant à ses propres lois et règles. De fait, dans ce roman romanesque (Crouzet), Stendhal joue, non sans malice, avec les conventions et les traditions. Si l'aventure et l'amour figurent en bonne et due place dans l'œuvre, un jeu avec les codes s'opère : si certaines situations sont proprement romanesques, comme l'évasion de Fabrice ou la conquête de Clélia, d'autres le sont nettement moins, et prennent même parfois le contrepied de motifs et de thèmes établis : ainsi, lors de la bataille de Waterloo, Fabrice est très souvent désarçonné (au contraire des héros de chevalerie) tandis que le passage symbolique du pont, près de l'auberge du Cheval-blanc, devient un moyen dérisoire de fuite. [...]
[...] S'ensuite, dans les chapitres 3 et l'épisode de la bataille de Waterloo, qui propose, nous le verrons plus loin, une peinture en quelque sorte cubiste de cet évènement historique, trompant en quelque sorte les attentes du lecteur. De fait, Stendhal réalise des coupes significatives dans la chronologie, porteurs d'une interprétation sur le réel : l'auteur ne néglige pas celui- ci, ; on peut dire, en un sens, que l'imaginaire va fleurir sur le terreau du réel historique évincé après le chapitre 4 et sur un réel à certains égards vraisemblable par la suite. [...]
[...] En outre, les personnages correspondent plus ou moins aux figures traditionnelles du roman. Ainsi, Fabrice, souvent passif, mettant en avant ses déterminations multiples sa généalogie, le hasard, la providence et souvient bien peu héros au sens traditionnel, comme dans la bataille de Waterloo, présente cependant des qualités qui en font un être d'exception : beauté, courage, naïveté, authenticité, elle si ce blanc-bec a parfois l'air cornichon ! L'imaginaire joue donc avec les codes établis ; Clélia, quant à elle, constitue en un sens l'archétype de l'héroïne du roman de chevalerie, belle, timide, vierge Palla représente, lui, l'homme de l'absolu politique et moral, criminel e amoureux parfait dans le droit fil de la tradition de l'amour courtois ; homme sublime il semble ne pouvoir sortir que d'une imagination prodigue. [...]
[...] En ce sens, on peut affirmer que l'épigraphe qui ouvre le roman, issue de L'Arioste, donne le ton en mettant en avant l'imagination, l'irréalisme, la fiction qui se défie du réel, s'en émancipe. Ainsi, Julien Gracq souligne qu'ouvrir La Chartreuse revient à entrer dans une contrée tout à fait singulière ; la Stendhalie (la Stendhitalie, dira Philippe Berthier), caractérisée par un climat romanesque particulier où le poids du monde s'allège (En lisant, en écrivant) : de fait, d'ailleurs, l'Italie de Stendhal, terre romanesque par excellence, semble davantage baigner dans une ambiance de XVIe siècle que dans le XIXe s En outre, dans cette œuvre toute écriture pour le plaisir (Gide), Stendhal semble se laisser emporter, au du moins se laisser guider par une imagination prolifique. [...]
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