La notion d' « architextualité » est un néologisme formulé par Genette dans Palimpsestes qui vise à assurer la prééminence du genre sur le texte. L'analyse ne visera donc pas ici à comparer les lettres et poèmes avec d'autres œuvres, mais avec une catégorie transcendante qu'il va nous falloir définir afin de déterminer s'il est possible d'établir une ou des relations structurales solides entre le recueil et son code générique.
Genette ne nie pas la fragilité de cette notion qu'il qualifie de : « relation tout à fait muette que n'articule, au plus, qu'une mention paratextuelle ». Or, le paratexte de notre recueil est pour ainsi dire inexistant puisque le recueil n'a jamais été composé par le poète. De plus, les deux publications séparées des Poèmes à Lou d'une part et des Lettres à Lou contenant les poèmes d'autre part font osciller les codes génériques pour cette dernière. Il ne s'agit en effet pas seulement de lettres : la « lettre 7 » et la « lettre 8 » sont des dédicaces sur des recueils d'Alcools et de L'Hérésiarque et Cie. De plus, l'ensemble des « poèmes envoyés » (cf. chapitre sur le vers et la prose) qui n'entretiennent de liens ni avec une lettre ni avec une structure épistolaire sont-ils vraiment des lettres ?
A l'exception des dédicaces, considérons donc qu'il s'agit bien de lettres qui obéissent donc au genre épistolaire. Mais une seconde question se pose : y a-t-il un genre épistolaire ? Les Lettres à Lou nous invitent ainsi à examiner plusieurs relations architextuelles qui n'engagent qu'une lettre ou qu'un passage de lettre. Ces relations nous permettront de rendre compte de la polyphonie de la correspondance d'Apollinaire qui concentre plusieurs structures codifiées au sein d'un même recueil.
[...] La prose au gré d'une narration personnelle peut ainsi le conduire, tel le fil méandreux d'une conversation, à placer son discours dans un autre niveau avec un autre style et une autre structure. Dans la lettre 162 par exemple, des ruptures de style divisent le texte avec par exemple le passage au passé simple qui fait passer de l'anecdote personnelle à la narration érudite : J'habitais plus haut, plus loin que la jolie et fameuse ruine de l'abbaye de Heisterbach[9], où vécut Césaire de Heisterbach, l'annaliste à qui nous devons la relation de la si belle histoire du jeune moine qui, ayant douté de l'éternité, fut, un jour qu'il avait été seul ramasser du bois, charmé par un écureuil gracieux qui jouait et sautait dans les hêtres. [...]
[...] Un poème écrit sur le front et envoyé à trois dépositaires pour le préserver de la guerre peut n'entretenir absolument aucun lien avec le genre de la lettre. Pour une carte postale (lettre 113), le genre est plus ambigu, mais on peut la ranger dans la catégorie des lettres si l'on suit la catégorisation de Gilles Constables qui pense que l'adresse et la souscription suffisent à la distinguer d'un autre type de discours[3]. A l'exception des dédicaces, considérons donc qu'il s'agit bien de lettres qui obéissent donc au genre épistolaire. Mais une seconde question se pose : y a-t-il un genre épistolaire ? [...]
[...] Les reprises architextuelles dans les Lettres à Lou d'Apollinaire La notion d' architextualité est un néologisme formulé par Genette dans Palimpsestes[1] qui vise à assurer la prééminence du genre sur le texte. L'analyse ne visera donc pas ici à comparer les lettres et poèmes avec d'autres œuvres, mais avec une catégorie transcendante qu'il va nous falloir définir afin de déterminer s'il est possible d'établir une ou des relations structurales solides entre le recueil et son code générique. Genette ne nie pas la fragilité de cette notion qu'il qualifie de : relation tout à fait muette que n'articule, au plus, qu'une mention paratextuelle Or, le paratexte de notre recueil est pour ainsi dire inexistant puisque le recueil n'a jamais été composé par le poète. [...]
[...] On retrouve ces temps dans la rhétorique classique où l'exorde et la conclusion entourent la narration. Apollinaire reprend ce schéma général dans les lettres les plus convenues, ce qui n'empêche pas une originalité qui se manifeste essentiellement par un art de la disposition (dispositio). La première lettre par exemple est une déclaration d'amour qui reprend point par point les étapes de la rhétorique médiévale avec une salutatio : Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d'hier soir, j'éprouve maintenant moins de gêne à vous l'écrire suivie d'une flatterie qui s'apparent à la benevolentiae captatio : Vos grands et beaux yeux de biches m'avaient tant troublé Apollinaire raconte ensuite la nuit qu'il vient de passer sur le modèle d'une narratio : De cette nuit bénie j'ai avant tout gardé devant les yeux le souvenir de l'arc tendu d'une bouche Enfin arrive la petitio, l'objet de toute lettre d'amour à savoir la demande d'une rencontre : Puissé-je encore toutefois entendre une voix dont le charme cause de si merveilleuses illusions La lettre s'achève par une conclusion en forme de déclaration d'amour doublée de la signature de l'amoureux obséquieux : Ainsi que vous pouvez voir [ ] je n'espère plus rien, sinon que vous permettiez à un poète qui vous aime plus que la vie de vous élire pour sa dame. [...]
[...] L'énonciateur peut être Guillaume le soldat, Apollinaire le poète, il peut dire la vérité ou créer de la fiction dans la prose comme dans le vers. Le critère du destinataire, déterminé ou non, est ambigu aussi puisqu'il s'adresse à Lou et au lecteur futur souvent évoqué. Schaeffer prend aussi le critère de la destination par rapport à l'énonciateur : écrit-il pour lui ou pour autrui ? Apollinaire écrit pour Lou, mais intègre des passages qu'il publie dans des journaux, consigne des impressions dont il veut se servir pour des récits futurs ou qu'il veut garder comme des carnets de guerre. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture