Jusqu'aux années 1950, soit plus de vingt ans après sa parution complète, et Proust décédé, A la Recherche du Temps perdu est considéré par ses contemporains comme une simple « œuvre de mémoire ».
Ce qui sembla gêner le public de l'époque est sans doute ce qui séduit le lectorat actuel, à savoir l'impossibilité de réellement saisir la portée de l'œuvre. Que raconte en effet cette histoire qui ne semble progresser qu'au fil des fluctuations de la mémoire ? Et qui sont ces personnages rendus si proéminents – M. Swann, la mère du héros… ?
Lorsque ses contemporains ont dédaigné l'œuvre de Proust parce qu'il n'y évoquait ni questions morales ni questions sociales, ils auraient peut-être dû envisager l'œuvre sur un plan philosophique. Car finalement, traitant de l'unité de l'être, il s'inscrit dans une tradition fort ancienne ; et si son message est malgré tout si poignant c'est par l'usage original qu'il fait du genre romanesque. C'est par le biais des personnages, dont il développe autant que possible la psychologie au détriment de l'histoire, qu'il semble parfois même mépriser, qu'il érige sous les yeux de son lecteur des compositions et recompositions de parties, en faisant « interférer entre eux » les personnages, pour tenter de former le Tout.
[...] Ainsi, alors qu'au théâtre il s'agira de vider les personnages de leur substance, dans le roman, c'est le surcroît de substance qui est recherché ; en cherchant l'Idée pure, c'est l'érection d'un symbole que l'auteur prise. Mais alors, au-delà de ce qu'ils symbolisent pour le héros, que peuvent nous apprendre, à nous, lecteurs, ces personnages ? Ont-ils finalement un rôle d'acteur, ou ne sont-ils que figurants ? Bien plus que ce que l'on vient de voir, que l'histoire psychologique dont les personnages nous permettent de remonter le fil, que peut-on apprendre des personnages ? [...]
[...] Et pourtant, une fois que toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l'église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé le chapitre s'achève, et le suivant commence sur une description de Combray. Cet exemple frappant témoigne ainsi l'importance supérieure de la psychologie par rapport à l'histoire chez Proust. [...]
[...] En revanche, chez Proust, et dans À la Recherche du Temps perdu, il est plus qu'essentiel d'envisager une histoire psychologique des personnages pour en apprécier l'originalité. Il est par exemple indispensable d'assister à l'angoisse du coucher du héros dans les premières pages de Combray pour ressentir avec ce personnage l'effroi à l'approche de son père, alors qu'il intime sa mère de venir lui dire bonsoir. Cette préparation psychologique est d'ailleurs ce qui constitue l'intérêt majeur de la scène, car l'accent n'est pas mis sur ce qu'aura pour conséquences un refus éventuel du père ou de la mère, en somme, pas sur l'action réalisée, mais sur les battements de cœur du personnage. [...]
[...] Quel est le rôle des personnages dans la narration romanesque ? Il est tout d'abord manifeste qu'il y a dans le roman prépondérance de la psychologie sur l'histoire ; ce qui nous amènera donc à envisager l'histoire comme n'étant éventuellement qu'un moyen de mettre en scène des caractères ; pour finalement conclure en se demandant ce que les caractères romanesques nous apprennent quant à celui qui raconte l'histoire, le narrateur. Il existe un caractère propre au roman qui permet ainsi la classification du genre : la présence d'une dimension psychologique qui prend parfois le pas sur l'histoire elle-même. [...]
[...] C'est ce qui incite notre critique à dire que les caractères interfèrent entre eux c'est-à-dire se font résonance, dans la mesure où ils sont les parties d'un tout et trahissent le narrateur autant que l'être L' être dont il est question ici, nous pouvons considérer qu'il se définit dans un rapport d'opposition au paraître. Il y aurait donc une sorte de réalité cachée que les personnages dévoileraient. Celle-ci serait alors naturellement cachée par leur pendant, c'est-à-dire, l'histoire, qui est effectivement l'illusion du roman. L'histoire berce le lecteur, l'installe dans une chronique de vie, et le promène dans un décor, parmi des personnages. [...]
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