"Arma virumque cano" ("Je chante les armes et l'homme..."), ouverture de L'Énéide, fut la devise de l'épopée depuis L'Iliade jusqu'à La légende des siècles. L'épopée gréco-latine et ses prolongements modernes ont en effet installé la guerre et ses héros au sommet de la tradition littéraire occidentale. Le roman a au contraire fait accéder à la dignité littéraire les préoccupations et les sentiments communs, liés au temps de paix. Avec le roman, l'amour détrône la guerre.
Pourtant, à la suite des événements de 1914-1918, on constate une entrée du thème de la guerre dans le roman, et même la naissance de véritables romans de guerre, comme de Le Feu de Barbusse (1916) et Les Croix de bois de Dorgelès (1919).
Peut-on parler de roman de guerre à propos du Diable au corps de Raymond Radiguet (1923) ? Dans quelle mesure la guerre intervient-elle dans ce roman ? La guerre est-elle simplement un des thèmes du roman ou ne peut-on pas parler en quelque sorte d'une esthétique polémique - polemos signifiant guerre en grec - et même d'une philosophie mêlant Eros, Thanatos et Polemos, une philosophie du conflit amoureux ? (...)
[...] On ne peut donc pas parler de cynisme, même s'il est vrai que Radiguet se complaît souvent à jouer avec le feu pour reprendre une expression du narrateur. Il est probable que tout cela participe d'une esthétique polémique, ou, à tout le moins, paradoxale, c'est-à-dire, étymologiquement, contre l'opinion dominante. Radiguet entend dessiller les yeux du lecteur et il a à se battre sur tous les fronts : il doit maintenir l'intérêt du lecteur, et c'est aussi la raison pour laquelle il fait s'alterner très souvent chapitres brefs, qui correspondent souvent à des coups de théâtre, avec des chapitres longs. [...]
[...] Le Diable au corps fustige aussi la famille, dans la mesure où c'est le roman de l'adultère et des parents soit complaisants (ceux du narrateur), soit ridicules (la mère de Marthe notamment). Enfin la patrie, parce que la guerre y est considérée comme une période de vacances, l'occasion de l'adultère et surtout parce que le narrateur n'éprouve pas le moindre sentiment patriotique. Par exemple, p.172, lorsqu'il est entraîné par son père aux fêtes de l'armistice, il cherche le patriotisme et ne le trouve pas. [...]
[...] Jacques est d'abord qualifié de nigaud à la page 64 ; il joue le rôle de l'époux trompé, comme dans une comédie ou un vaudeville : Je commençais à considérer Jacques comme le mari Peu à peu j'oubliais sa jeunesse, je voyais en lui un barbon. (p.111). Jacques, personnage ridicule, mais aussi personnage de Laclos : le malheureux doit ses seules joies aux lettres dictées par l'amant de sa femme : C'est moi qui dictais à sa femme les seules lettres tendres qu'il ait jamais reçues. (p.116). Comment ne pas songer au cynique Valmont écrivant à Madame de Tourvel sur le dos d'une courtisane, ou dictant à Cécile une lettre pour Danceny ? [...]
[...] Lors de l'épisode de la folle, c'est la vanité de notable du père Maréchaud qui transparaît : Au retour, je crus voir derrière la grille une silhouette blanche, le fantôme de la bonne ! C'était le père Maréchaud en bonnet de coton, contemplant les dégâts, sa marquise, ses tuiles, ses pelouses, ses massifs, ses marches couvertes de sang, son prestige détruit. (p.56). De même, les Marin organisent un raout-surprise afin d'assurer la rentré politique de monsieur Marin en surprenant les ébats amoureux des amants. Mais l'événement tourne à la déconvenue des Marin et ils sont discrédités aux yeux des notables invités, qui déçus, traient tout bas les Marin d'imposteurs et le pauvre M. [...]
[...] Penser à la terre ferme, c'est l'intéressé lui-même qui le dit, équivaut à se préoccuper d'avenir. Et la première expérience qu'il fait de cet avenir est précisément de vivre entre ses parents, sans aucun heurt, comme il avait vécu avant son escapade pour la grande aventure. Comme par hasard, c'est à ce moment précis que sonnent les cloches de l'armistice, annonçant le retour prochain des soldats et avec lui le retour à l'ordre de la paix. Sitôt après la naissance prématurée de l'enfant, nouvelle tempête intérieure dans l'esprit du malheureux héros : je me trouvais dans un désordre incroyable, et comme jeté à l'eau, en pleine nuit, sans savoir nager. [...]
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